Je me dis parfois qu’un jour, je n’aurai plus de chien… Pas à cause d’eux, non. Mais à cause de nous.

Lier sa vie à celle d’un animal, c’est accepter ses besoins, son rythme, ses envies. C’est faire de son mieux pour lui rendre le quotidien agréable, c’est adapter ses horaires et ses départs en vacances, c’est s’interroger sur son comportement, sa santé, son individualité.

Il y a quelques jours, je me promenais avec ma chienne. Un fauve de 2 kilos toute mouillée, facilement impressionnée et ayant besoin de beaucoup de temps et d’observations dans les environnements trop stimulants. De loin, j’avise une dame et deux bichons en laisse, dont l’un tire à s’énuquer. Lhyra se fige et se planque derrière mes mollets. Je la rassure tout en évitant le contact visuel avec la dame aux bichons et réfléchis au détour le plus judicieux à entamer. J’espère que je pourrai éviter une rencontre frontale, en laisse, en bord de route mais bim, du coin de l’oeil, je vois que l’autre accélère, tout sourire, le bichon toujours haletant, en ligne droite. J’ai beau tenter de me détourner, la distance diminue : 50 mètres, 20 mètres, 10 mètres…

« Excusez moi mais ma chienne n’est pas très à l’aise, je préfèrerais éviter la rencontre. »

Elle ne ralentit toujours pas, fixe Lhyra en marmonnant des « oh ben oui, elle est mignonne hein »…

« Vraiment, ça va pas le faire, elle stresse et votre chien n’a pas l’air très bien non plus. »

« Oh ça va hein, il est gentil, ça lui fera plaisir et il sent la femelle, il est content. »

« Oui mais non, vraiment, je préfère pas. La laisse tendue, le stress, c’est pas terrible quand même pour eux et… »

« Put*ain, les gens sont tellement compliqués ! »

Des interactions de ce type, il y en a tous les jours. Moi, en tant qu’humaine, ça me blesse. Entrer en conflit avec quelqu’un, c’est pas mon kiff. Surtout qu’au fond, je suis sûre que cette femme aime ses chiens et qu’elle est convaincue de leur proposer ce qu’il faut. Sauf qu’en quelques secondes, je n’ai pas le temps de lui expliquer que rien ne va dans son attitude, dans son interprétation de la situation et dans sa réaction. Et évidemment, ma chienne, en tant que chien, ça la blesse aussi. Parce que même si, ce jour-là, toutes les interactions précédentes  s’étaient bien déroulées, celle-ci lui a fait peur et il lui a fallu du temps pour redescendre émotionnellement. Et ça n’est pas juste.

Ca n’a rien de grave, il n’y a pas eu de bagarre et aucun chien n’est passé sous une voiture. Mais cela aurait pu être évité. Cela aurait être évité si seulement les humains concernés avaient eu une meilleure connaissance du chien…

Evidemment, comme beaucoup d’autres professionnel.le.s, j’ai des dizaines d’anecdotes de ce type (peut-être même des centaines…). Rééduquer un chien « agressif » en pleine forêt et se faire sauter dessus par un pinscher en liberté qui ne répond pas à son humain (j’ai cru qu’il finirait en brochette…), se faire menacer physiquement parce qu’on demande à quelqu’un de rattacher son chien « juste pour quelques mètres, s’il vous plait » (là, j’ai bien cru que c’est moi qui finirait en brochette…), se faire traiter de « conna**e » par un monsieur caressant ma chienne par derrière, alors qu’on lui tournait le dos, sans me demander et sans LUI demander (on a tous les deux cru qu’il perdait sa main…), devoir faire des détours de 3 km pour travailler un jeune chiot anxieux sans risquer de croiser tous les chiens de famille du coin lâchés pour leur sortie hebdomadaire…

J’ai vécu avec des chiens depuis ma naissance. Des chiens de chasse, des chiens de refuge, des calmes, des hyperactifs, des tendres, des drôles… J’ai accumulé des années d’anecdotes, de beaux moments et d’adieux toujours trop difficiles. On ne peut pas les protéger de tout, il est indispensable de les préparer à la vie dans la société humaine, d’augmenter leur tolérance et de leur permettre de progresser. Mais cela doit être fait à LEUR rythme, en fonction de leur histoire et de leur sensibilité propre.

J’ai aujourd’hui l’impression qu’il devient de plus en plus difficile d’aider les individus les plus sensibles. C’est peut-être parce que, avec les années, je suis devenue plus attentive à leurs besoins ou parce que je travaille principalement avec des animaux en ville, qui est un environnement complexe. Mais je crois aussi que les animaux sont devenus des consommables comme les autres, achetés, jetés et rarement recyclés.

Et si je n’arrive pas à trouver le moyen de respecter totalement leur nature et de leur éviter un maximum d’expériences négatives, je crois qu’un jour, je n’aurai plus de chien…

Marie Sutter

Fondatrice et CEO d’AnimHo