Janvier 2013 – Un rêve se réalise. Je foule les pistes du Cabaret Équestre de Cheval Passion, à Avignon, en compagnie de deux de mes amis équins. Les représentations s’enchaînent, avec plus ou moins de heurts, d’erreurs et de bonheur. Je suis fière de faire partie des quelques cavaliers présents, fière de mes chevaux qui affrontent public et mistral la tête haute, fière d’être à plusieurs centaines de kilomètres de chez moi pour présenter mon travail et mettre en avant notre relation. Sauf que… 

 

 

Pas une journée ne passe sans que je ne sois témoin de gestes déplacés de la part des autres « artistes » : les coups de pieds donnés à un poney peu désireux de rentrer au box, la bave essuyée sur un poitrail transpirant après 30 min de rollkür « d’échauffement » (précédant une démonstration en cordelette avec la même monture, évidemment…), le piaffer rageusement obtenu sur le goudron au rythme d’un stick sifflant après une prestation décevante… Je ne dis rien. La honte ne me donne aucun courage. Je ravale mes mots et mes larmes, en n’osant pas, en me trouvant des excuses. 
Chaque matin du Salon, je me précipite vers mes chevaux, constate leur agitation d’être coincés au box, serre les dents face à leurs sursauts à chaque bruit du vent contre les toiles de tente, nettoie la litière dans laquelle ils ont dû dormir, leur impose une sortie « hygiénique » au milieu des churros et des gamins sautillants, les prépare pour les passages imposés sur la piste qui me faisait tant rêver.

 

 

De retour chez nous, je constate les dégâts. Pour ces quelques jours de représentations en plein mois de janvier, j’ai dû tondre leur précieux poil et ils devront porter des couvertures jusqu’à la fin de l’hiver. Pour le plaisir de porter mon costume et d’étrenner mon nouveau tapis de selle, je leur ai imposé des heures de route dans un van glacé et bruyant. Pour pouvoir présenter des photos de nos prestations sur internet, je les ai bloqués au box pendant plusieurs jours, sans possibilité de brouter ou de passer du temps avec leurs congénères. Pour l’adrénaline et les projecteurs. Pour une ligne de plus sur mon CV. Pour mon plaisir à moi. Je les ai oubliés, eux.

Novembre 2017 – Presque cinq ans se sont écoulés depuis que j’ai reçu ce fameux mail : « Bonjour, Nous vous confirmons votre participation à Cheval Passion 2013 au Cabaret Équestre. » Cinq ans. Une éternité. Un claquement de doigts. Depuis ce fameux Salon, il me semble que je n’ai plus remis les pieds dans un événement équestre, et encore moins transporté mes chevaux pour les mettre en scène. J’ai décidé que je ne me sentais plus capable de leur imposer ces sorties et d’assumer ensuite notre retour à la vie « normale ». Aujourd’hui, ils vivent en groupe avec les leurs, au pré. Sans couverture, sans tonte, sans contrainte inutile.

 

Tous les ans, à la même période, c’est le retour des concours et Salons indoor : Lyon, Genève, Paris, Avignon… Je me souviens, il n’y a pas si longtemps, l’impatience que je ressentais en organisant mes déplacements. La hâte de retrouver des amis, d’écumer les stands de livres, d’assister aux démos, d’investir dans du matériel souvent inutile. Je n’ignorais pas les chevaux en box, les cavaliers peu scrupuleux et la réalité des coulisses. Mais il aura fallu que j’y prenne part personnellement et à plusieurs reprises en tant qu' »artiste » pour décider que je ne voulais plus cautionner cette représentation du cheval.

 

Oui, je sais que certains artistes et organisateurs sont respectueux de leurs partenaires de scène. Oui, je sais qu’il ne s’agit à chaque fois que de quelques jours avant de retrouver une vie d’écurie plus acceptable. Oui, je sais que les visiteurs ne paient pas leur billet d’entrée pour financer l’exploitation des chevaux. Evidemment. Mais en fait, je m’en fous. Moi, personnellement, j’ai tourné cette page de ma vie et aucun argument ne me fera accepter l’idée que des chevaux vivants ont leur place entre quatre murs éclairés aux néons, baignant dans l’odeur de frites et la musique stridante d’un tour d’honneur…

 

 

Marie Sutter

Fondatrice et CEO d’AnimHo