Lorsqu’un animal entre dans nos vies, on sait que l’on devra en passer par là. On accepte la douleur à venir sans trop y penser, conscient que notre belle histoire devra se terminer un jour tout en nous berçant de l’illusion que cela n’arrivera jamais.

 

Les années passent, les souvenirs s’accumulent. Des rires, des larmes, des marches folles et des câlins à n’en plus finir. Beaucoup de confidences, quelques remontrances parfois. Et puis le jour arrive. Quelle qu’en soit la raison, toujours trop tôt. Atrocement inévitable.

 

Oh ma belle, que ma prose me semble terne quand je repense à toutes ces années… Les larmes qui coulent n’adoucissent en rien l’amertume de la situation. Je n’arrive pas à croire qu’on en soit déjà là. Je n’arrive pas à croire que tout ce que nous avons vécu ensemble soit déjà terminé.

 

Octobre 2005. Rencontre. Ton regard qui se détourne bien loin, perdu dans les cauchemars de ta première vie. Tes pas qui ralentissent derrière nous, ton corps qui se courbe quand on se penche vers toi, ta respiration qui se bloque souvent, trop souvent.

 

Année après année, nous avons admiré tes progrès, loué ta gentillesse, aimé ta douceur et ton énergie. Peu à peu, les aboiements ont cessé. Les sursauts et les tremblements aussi. Doucement, tu t’es épanouie. Je veux me souvenir de toi courant sur la plage, furetant dans la forêt, dormant dans un train ou couinant sur un bord de carrière pendant que je donnais un cours. Je veux ancrer dans mes rêves ton impatience quand nous arrivions dans un endroit aimé, tes jeux dans la neige et les bâtons cachés dans ton panier, tes grognements pour me protéger et tes poils sur le canapé.

 

 

Mai 2018. Nous y voilà donc. Quinze ans que la Terre a la chance de te porter. Tu es fatiguée ma belle, et c’est bien normal avec tout ce que tu as vécu. Je sais qu’il est l’heure, et que je dois te laisser partir. J’écoute la vétérinaire sans vouloir l’entendre, j’acquiesce alors que je voudrais hurler. Tu es toujours là, si calme sur cette froide table que tu détestais tant… Il me faut signer des papiers que je voudrais pouvoir brûler, écrire mon nom sur des autorisations d’incinération alors que tu es toujours là, à quelques centimètres, prenant tes dernières inspirations éreintées… J’essaie de faire de mon mieux pour que tu partes sans me voir pleurer… Il est temps ma belle… Regarde-moi, là, dans les yeux, bien en face. Tu te souviens tes courses folles au milieu des chevaux ? Oui, c’est ça, respire doucement. Et tous les petits mulots que tu arrivais à trouver, te moquant éperdument de mes rappels, tu t’en souviens ? Doucement belle, laisse-toi aller… Merci d’avoir été là pour moi, merci d’avoir été toi… Regarde-moi, ma belle… C’est ça, reste avec moi… Tes pupilles s’élargissent déjà… Tu es si sereine… Je t’aime ma belle… Ton corps se détend tout doucement… Repose toi maintenant…