Si mon parcours équestre professionnel a été relativement chaotique au gré de l’affirmation de mes envies et de mes objectifs, mes débuts dans le monde du cheval ont été pour le moins classiques. Quelques années de club, de chutes et de progression tâtonnante sous les palmiers marocains et j’étais de retour en Europe, bien décidée à me lancer à corps perdu dans l’enseignement de l’équitation. Peu convaincue par des approches dites « classiques » qui, autour de moi, créaient autant de traumatismes que de vocations, je me retrouvai, il y a presque 10 ans, à remettre en question tout ce que j’avais appris pour endosser le rôle tant désiré de « monitrice – coach en équitation alternative ». L’objectif étant de lancer mon activité professionnelle rapidement tout en respectant mes principes, je me dépêchai de trouver une méthode qui semblait me convenir, qui me permettait de progresser de manière logique et respectueuse avec mes chevaux, et que je prenais plaisir à transmettre à mes élèves équins et humains. Oh bien sûr, je me suis rapidement retrouvée confrontée à de nombreuses questions sans réponse : l’ordre des exercices demandés, les postures des chevaux, leur mode de vie étaient autant de sujets qui me chiffonnaient régulièrement. Mais finalement, qui étais-je pour douter ? Alors que tant de cavaliers.ères réussissaient des prouesses en suivant cette approche, que des instructeurs chevronnés ne la remettaient pas en cause et que, objectivement, mes chevaux eux-mêmes semblaient progresser sans perdre leur santé physique ou mentale ?

 

Bien décidée à me former au maximum en parallèle de mon activité professionnelle, je suis partie à la rencontre de cavaliers de tous horizons, afin de multiplier les expériences et les points de vue. Appliquant le banal et tant répété « l’important c’est de prendre ce qui nous convient et de faire sa propre méthode », je me baladais carnet en main et poney jaune en longe pour apprendre, réfléchir, et, j’en étais convaincue, devenir meilleure technicienne puisque riche de nombreuses approches. Sauf qu’à chaque fois, « prendre ce qui me convenait » revenait à accepter « ce qui ne me convenait pas ». Sans pour autant tout appliquer à mes chevaux et alors même que, dans leur majorité, les conseils reçus se révélaient plutôt utiles, il me fallait serrer les dents face à des situations intolérables. Démonstrations de force de la part de horsemen prônant le respect de la sensibilité de leur monture, chevaux cloîtrés au box avec une seule ration de foin quotidienne, débourrages rênes (très) ajustées ou négation totale de chevaux fouaillant de la queue ou plaquant les oreilles en arrière… Pour éviter de me perdre (et parce que pleurer tous les jours en se demandant si on suit la bonne voie, c’est épuisant…), je me centrai exclusivement sur mes élèves ainsi que sur mes partenaires équins et notre complicité, tentant d’oublier les aspects déconcertants de mes découvertes et cherchant des excuses aux situations qui me heurtaient tant. Finalement, une fois de plus, peut-être n’avais-je rien compris, peut-être était-il nécessaire d’en passer par là, peut-être fallait-il que je mûrisse un peu…

 

Et puis, comme la vie a le don de vous amener exactement là où vous avez besoin d’être, les choses ont pris un drôle de tournant… Des soucis de santé d’abord, qui m’ont obligée à lever le pied et à remiser ma selle au placard de plus en plus souvent. Mon retour sur les bancs de l’université ensuite, afin de mettre à profit le temps que je ne passais plus sur le terrain. Et puis le décès d’un écuyer dont j’avais la chance de suivre l’enseignement et qui me guidait sur un chemin qui me semblait juste, m’empêchant de sombrer dans mes trop nombreuses hésitations.

 

Bien obligée de prendre du recul, j’ai également pris quelques claques. Moi qui reprenais des études d’éthologie pour être confortée dans mes impressions empiriques, je me retrouvais confrontée à une dure réalité : peut-être avais-je tort depuis le début. Peut-être que, finalement, la relation dont je rêvais avec mes chevaux impliquait de sérieusement leur foutre la paix. Peut-être qu’il me fallait accepter qu’un cheval n’est pas fait pour être monté et que, si certains semblent détendus et volontaires sous la selle, la majorité choisirait probablement de fuir le monde humanisé que nous leur imposons s’ils avaient le choix. Peut-être que je faisais souffrir mes chevaux, que, sous couvert de « devoir les travailler », de « les maintenir en forme » ou de « les stimuler intellectuellement », je leur imposais des activités bien éloignées de leurs aspirations individuelles. Ou peut-être que je me compliquais trop la vie, qu’il me fallait juste trouver un moyen de leur demander leur avis et de respecter leurs besoins pour, enfin, aligner mes actes et mes aspirations.

 

Face à ces interrogations et au mal-être que je ressentais, j’ai courageusement décidé de… m’échapper. Sans en avoir conscience et sans y réfléchir, je me suis éloignée de ce qui me faisait souffrir pour me rapprocher d’une nature « sauvage » (ça aussi, on y reviendra…) qui, je l’espérais, pourrait me donner quelques réponses. Au lieu de préparer un mémoire de fin d’études sur les équidés, j’ai pris un billet d’avion pour passer quelques semaines avec des dauphins sauvages. Au lieu de retrouver mon planning d’enseignante d’équitation, j’ai ensuite passé quelques mois en Afrique du Sud pour devenir Guide de Terrain. Et à peine diplômée, je suis tombée enceinte… Aujourd’hui, je me rends compte que cette longue période sans technique équestre, sans remises en questions pédagogique et sans séance avec mes chevaux est une chance. L’occasion de prendre une vraie distance avec tout ça, de confirmer mes ressentis et de réfléchir à la suite…

 

Tout ça pour en venir au point suivant : après toutes ces péripéties, j’ignore totalement ce que je vais bien pouvoir faire lors de mon retour dans la vie active…

Reprendre mon activité « comme avant » ? Trouver un moyen de concilier mes prises de conscience et mon expertise professionnelle ? Renoncer complètement au monde équestre ? Mais cela ne reviendrait-il pas à fermer les yeux et à « laisser la place » à des approches que je pense dangereuses pour le bien-être des chevaux (et donc des cavaliers) ? Dois-je continuer à serrer les dents, ou serait-il plus judicieux de me préserver en gardant mon énergie pour les chevaux qui partagent ma vie ?

 

Sinon, je pourrais me mettre au tricot… C’est bien aussi, le tricot…

 

 

Marie Sutter

Fondatrice et CEO d’AnimHo

Texte publié pour la première fois en 2016