Certains trouveront sûrement que je pointe un peu trop souvent les difficultés de mon métier. D’autres que je suis envieuse, aigrie, voire extrêmement pénible. Si vous êtes de ceux là, je vous conseille de ne pas persévérer dans la lecture de cet article… 

 

 

 

En revanche, peut-être que certain.e.s lecteur.trice.s auront des conseils avisés à opposer à mon ressenti. Je crois que j’ai désespérément besoin que des personnes neutres m’aident à y voir un peu plus clair…

 

 

Nous sommes en 2018. Cela fait donc un peu plus de dix ans que j’ai décidé de consacrer ma vie professionnelle (et, dans une large mesure, personnelle) aux animaux. Des chevaux à la faune sauvage en passant par plusieurs espèces d’animaux domestiques, j’ai rencontré beaucoup d’êtres merveilleux. Je suis bien incapable de comptabiliser toutes les heures passées à enseigner les pieds dans le sable d’une carrière ou les yeux fixés sur l’écran de mon ordinateur. Mais je suis également totalement incapable d’estimer le temps passé à répondre à tous les messages que je reçois : appels à l’aide, demandes de conseils, questions sur mon parcours, partages d’expériences… Pas une semaine ne passe sans que je ne consacre des heures à toutes mes messageries virtuelles*. Et je tiens à être parfaitement honnête : en sacrifiant mes soirées (week end inclus !) à cette « activité », je cherche avant tout à guider humains et animaux sur une voie que je crois juste. Mais évidemment, j’espère également que toutes ces heures données gratuitement me permettent, de temps en temps, de trouver de nouveaux élèves et qu’elles débouchent, parfois, sur l’organisation d’un stage ou d’une conférence. En somme, j’essaie de trouver l’équilibre entre « mettre mon expertise au service des animaux » et « gagner ma vie ».

 

 

Je jongle donc entre les cavaliers qui veulent connaître mes « astuces » pour réussir tel exercice technique, les passionnés qui aimeraient que je leur transmette les notes prises lors de tel colloque, les curieux qui voudraient savoir comment je réagirais dans telle situation conflictuelle avec leur animal, les angoissés qui insistent pour que je résolve les problèmes comportementaux qu’ils pensent détecter chez leur partenaire. J’essaie de répondre sans trop m’impliquer : les conseils sont ardus à prodiguer sans connaître le contexte dans son ensemble, et puis surtout, au risque de me répéter, il s’agit de mon travail. J’ai passé des années sur le terrain, je me suis payée des diplômes universitaires, j’ai suivi des formations en ligne, je me suis déplacée dans des dizaines de conférences scientifiques et de stages pratiques. J’ai dépensé des dizaines de milliers d’euros (financés sans aucune bourse, ni subvention, en ravalant ma fierté et en mettant un peu trop souvent mes proches à contribution) pour pouvoir aujourd’hui encadrer ceux qui le désirent, argumenter et remettre en question chaque exercice que je propose, faire des bilans comportementaux consciencieux et rigoureux. Je ne peux pas et ne veux plus sacrifier mon temps libre à re-disperser toutes ces connaissances aux quatre vents sans rien obtenir en retour.

 

Parce que oui, je crois que le gros du problème est là. Je peux presque me rappeler tous les noms des personnes qui ont pris le temps de me remercier. Et je peux compter sur les doigts d’une main celles qui ont pris la peine de me donner des nouvelles après avoir appliqué mes conseils. Quant à celles qui me contactent pour avoir des précisions sur mes prestations, la sentence est la même : je tente de répondre à toutes les questions, de proposer des arrangements, d’aider à l’organisation et du jour au lendemain, plus de nouvelle. Manque d’inscrits, problème financier, date finalement déjà réservée : toutes les excuses sont bonnes et recevables. Je sais qu’organiser la venue d’une professionnelle peut être chaotique pour l’avoir fait moi-même à plusieurs reprises. Mais ne serait-il pas envisageable de me tenir au courant ? D’avoir au moins l’égard de se souvenir que je tente de faire mon travail afin de régler mes factures, et que bien que chanceuse de faire un métier passion, j’apprécierais parfois de me payer un salaire ? Et je ne parle même pas des acomptes qui n’arrivent jamais ou des tentatives de négociations 48h avant mon arrivée. A chaque fois, je dépense des centaines d’euros en trajet et passe des dizaines d’heures à préparer les slides de mes conférences. Chaque journée de cours me prend au moins trois à quatre fois plus de temps entre les déplacements, l’agenda à organiser et les messages à trier (et je ne parlerai pas du trio chronophage et ô combien rébarbatif « compta / RSI / impôts »…). Et de plus en plus souvent, tout ce temps (que je ne rattraperai jamais…) est à foutre à la poubelle. Toutes ces heures de MA vie sont annihilées pour un manque de communication ou un je-m’en-foutisme ambiant et exaspérant.

 

Alors oui, je suis frustrée (jalouse peut-être ?) quand je vois que des stages donnés par des professionnels non déclarés se remplissent en 2 jours. Quand je constate que des coachs n’ayant suivi aucune formation (mais ayant sûrement plus de charisme que moi…) dispensent des conseils dangereux à des amateurs assoiffés de paillettes et de reconnaissance. Quand je tombe sur des vidéos d’animaux exprimant des signaux d’apaisement et cherchant à fuir une contrainte que l’enseignant semble ignorer complètement.

 

J’ai choisi ma voie et je ne regrette pas mon parcours qui a été (et est toujours !) varié, riche et passionnant. Je suis juste énervée, triste et un peu perdue en voyant l’évolution de mon domaine d’activité ces derniers temps. Je suis dépitée de constater que malgré tous ces sacrifices et tous ces obstacles franchis, je ne peux aujourd’hui plus vivre de mon travail. Plusieurs options s’offrent donc à moi. Tout laisser tomber ? Limiter mes interventions aux structures professionnelles ? Ne plus prendre de nouveaux élèves pour éviter les déconvenues ? Faire intervenir un.e secrétaire extérieur.e pour gérer mes réservations avec la froideur professionnelle que cela semble nécessiter ?

 

En attendant de prendre une décision, je me replonge avec un plaisir égocentrique et nécessaire dans certains des témoignages reçus récemment : merci de m’avoir donné, avec vos quelques lignes, l’impression que tous mes efforts ne sont pas vains… 💚

 

Marie Sutter

Fondatrice et CEO d’AnimHo





































* Il arrive aussi qu’un message se perde, que je m’endorme en réfléchissant à une réponse que j’oublie finalement d’envoyer, que je tombe des mois plus tard sur un mail abandonné… Je fais de mon mieux pour satisfaire tout le monde mais sur la somme de textes reçus, des erreurs sont inévitables et je m’excuse sincèrement auprès de ceux qui attendent une réponse  : n’hésitez pas à me relancer :) 

 

** Attention : Je connais également des personnes non diplômées, plus ou moins médiatisées, qui font un excellent travail, respectent leurs élèves humains et animaux et ont toute mon admiration. Ce sont les charlatans et leurs groupies incrédules qui me font gerber, parce qu’ils font passer le bien-être animal derrière leur envie de se mettre en scène…