Il y a une dizaine d’années, bien décidée à me lancer professionnellement dans le monde du cheval, je me suis laissée entraîner par mes (trop ?) nombreuses interrogations et mon insatiable curiosité dans mes tous premiers cours de travail au sol.

Bien occupée à découvrir le maniement du stick en fibre de verre sans me coller la cordelette dans l’œil tout en essayant de mémoriser nœuds d’attache et vocabulaire américano-éthologique, je découvris également une autre approche de l’animal, une autre manière d’aborder nos demandes et ses réponses. C’est ainsi qu’au cours d’un jour de stage, alors que je gratouillais consciencieusement la jument qui avait eu l’amabilité de bien vouloir me suivre au petit trot sans se moquer de mon souffle rauque, j’entendis un échange auquel je repense encore souvent, entre une stagiaire et notre enseignante…

 

–  » Moi, mon cheval il est super gentil, vraiment, mais j’ai juste un problème. Quand on est côte à côte, il cherche toujours à me mordre. C’est pas grave hein, il me fait pas vraiment mal, mais je sais pas trop quoi faire vu qu’il s’en fout quand je lui donne une claque.

– C’est simple. Ne le mets pas dans une situation où il peut te mordre !  »

Je sentis la stagiaire profondément blessée et les témoins de l’échange mi-perdus mi-amusés. De mon côté, je continuai à gratouiller ma partenaire du jour en essayant de prendre un air inspiré alors que je réfléchissais sérieusement à ce que cette réponse impliquait…

 

Aujourd’hui, riche de je-ne-sais-combien d’interactions supplémentaires avec des équidés de tout poil (et de quelques morsures aussi…), je me rends compte que j’ai un peu tendance à donner le même genre de réponse énigmatique (voire, je ne me leurre pas, profondément agaçante) lorsque l’on m’interroge sur la conduite à tenir face à certains comportements.

– « Oui mais toi, tu fais quoi si ton cheval part en coups de cul ?

– Il ne part pas en coups de cul, mon cheval… Allez hop, joie et bonne humeur, revoyons ensemble les exercices travaillés au sol la dernière fois !  »

 

Mon objectif est à la fois d’éviter de donner de l’importance à un comportement qui, généralement, cessera de lui-même dès que la relation sera « soignée », mais également de ne surtout pas donner l’impression qu’il existe une formule magique, un baume cicatrisant à appliquer sur la blessure comportementale qui gène le cavalier… alors même qu’il semble avoir loupé l’infection généralisée qui traîne derrière ces dérangeants coups de cul.

En fait, je crois que ce qu’il me faudrait répondre, c’est « Ne le mets pas dans une situation où il pourrait avoir envie d’exprimer ce comportement. » Ou encore « Regarde autour de toi, autour de lui, et demande toi pourquoi ton cheval réagit de cette manière. » Parce que s’il est clairement acquis aujourd’hui que le cheval ne cherche pas à nous nuire ou à nous rendre triste, il semble également évident qu’il ne fait que choisir la solution « la moins pire » dans une situation donnée. Situation qui, comme pour tout être vivant, peut le stresser, lui faire mal, l’ennuyer ou simplement le gaver prodigieusement !

Je pourrais citer des études démontrant qu’un cheval vivant au pré, dans des groupes multi-âges, ayant accès en permanence à du fourrage de bonne qualité et n’ayant pas été sevré trop tôt exprimera moins de comportements « indésirables » qu’un cheval isolé socialement dans un box étroit, mais je me plais à croire que ces éléments sont connus et que les cavaliers qui s’interrogent réellement sur le comportement de leur cheval ont déjà pris conscience des éléments indispensables à sa bonne santé mentale et physique. Et évidemment, si les éléments sus-cités sont respectés, beaucoup de comportements considérés comme « indésirables » ne seront pas exprimés. Cependant, ne rêvons pas : même si l’on offre à notre partenaire équin des conditions de vie que l’on espère au plus proche de ses besoins et de ses aspirations, nous ne sommes pas à l’abri d’un coup de pied impromptu, d’une encolure jetée toutes dents dehors ou d’un arrachage de longe dans les règles.

 

De par mon métier et mon expérience, j’ai toujours envie de proposer au cavalier confronté à ce genre de situation de l’analyser dans son ensemble :

– Quel est votre état d’esprit ? Etes-vous là par obligation ? (« Le mardi, j’ai poney ! », « Il a rien fait depuis 5 jours, donc aujourd’hui, faut qu’il transpire un peu ! »…)

– Pourquoi lui avez-vous demandé tel exercice ? (« Bon, faut qu’on révise ce truc, la prof revient demain ! », « Il écoute rien, je vais lui rerererereredemander un désengagement des postérieurs ! »…)

– Voyez-vous des éléments anxiogènes autour de vous (nouvelle carrière, bruit inconnu, éloignement des congénères…) ou EN vous ?

– Est-il possible qu’il s’ennuie ? qu’il ait mal dormi ou mal à la tête ? qu’il fasse trop chaud ou trop froid ? ou que simplement, malgré votre planning de séances ultra organisé et votre motivation, ce ne soit pas une bonne idée d’être exigeant parce que là, tout de suite, ce dont vous avez tous les deux besoin, c’est d’un gros câlin sans ultimatum ?

 

En fait, au-delà de toute technique et de tout apprentissage d’exercices codifiés, ce que j’aimerais que les cavaliers un peu perdus face à leur cheval acceptent, c’est de s’écouter. D’écouter leur subjectivité, leurs envies, leurs impressions, mais aussi d’écouter leur cheval et tout ce qu’il tente de nous communiquer en permanence. Parce que finalement, là encore, je ne crois pas qu’il y ait de règle absolue…

Si on est tous d’accord pour trouver intolérable de prendre un postérieur en pleine tête (si si, là, normalement, on se rejoint…), il est intéressant d’observer que certains cavaliers laissent leur cheval se gratter langoureusement contre leur dos, rigolent au moindre saut de mouton ou détendent la longe pour faciliter les longs hennissements de leur monture angoissée, alors que d’autres ne verront là que manque de respect et de concentration. Je ne vais pas vous mentir, j’ai moi-même ma petite idée sur ce que j’accepte et ce que je demande à mes chevaux d’éviter en ma présence. Mais ça ne veut pas dire que je détiens la vérité… Alors au lieu de lister tout ce qui ne va pas dans votre relation, prenez conscience du contexte dans lequel vous évoluez, et tentez un petit exercice intéressant : ce comportement « indésirable » que vous redoutez tant, votre cheval l’exprime-t-il quand il n’est pas en votre présence, au sein de son groupe de congénères par exemple ? Si oui, cela devrait vous donner des pistes intéressantes pour régler votre souci…

 

Marie Sutter

Fondatrice et CEO d’AnimHo

Publié pour la première fois en 2017