Chapitre 5 – Des capacités cognitives teintées par la présence humaine
Des millénaires au contact de l’humain ont influencé le cheval non seulement d’un point de vue physique, mais également mental et psychologique. Parce que le cerveau de nos partenaires équins domestiques n’est pas tout à fait le même que celui de leurs ancêtres, voyons ce qui fait de lui un partenaire exceptionnel…
1. La cognition du cheval
Qu’est-ce que la cognition ?
« La cognition désigne le processus par lequel des systèmes naturels (humains et animaux) ou artificiels (ordinateurs) acquièrent des informations sur leur monde, en construisent des représentations, les transforment en connaissances par des opérations spécifiques, puis les mettent en œuvre dans des activités, des comportements ou des fonctionnements. »
Étudier la cognition du cheval revient donc à étudier comment il perçoit les informations envoyées par son environnement, comment il les traite/mémorise et comment il s’en sert ensuite pour interagir avec ce qui l’entoure. Les études sur l’« intelligence » du cheval (et des autres espèces animales) sont en augmentation : concentrons-nous sur celles dont les conclusions peuvent nous aider à améliorer directement la relation entre l’Homme et le Cheval.
Les capacités cognitives du cheval
- La cognition spatiale correspond à la faculté de visualiser mentalement l’espace qui nous entoure, de former des cartes mentales et d’y avoir recours ultérieurement. Nécessaire pour tout animal vivant en milieu naturel, la cognition spatiale est étudiée avec des tests de détour (une récompense alimentaire étant par exemple cachée derrière une barrière qu’il faut contourner) et des labyrinthes (plusieurs détours sont nécessaires pour atteindre la récompense). Le cheval est généralement performant dans ces tâches et trouve son chemin de plus en plus rapidement au fur et à mesure des tests. A noter : les hybrides mules/mulets/bardots serait beaucoup plus performants que les chevaux !
- Les capacités d’apprentissage sont probablement LA « preuve d’intelligence » la plus communément citée par le grand public. Le cheval est testé sur sa capacité à résoudre des tâches instrumentales et à les mémoriser, sur le plus ou moins long terme. Les études peuvent se faire en laboratoire ou en extérieur, et les tâches peuvent être très diverses :
- discrimination (exemple : le cheval doit désigner l’objet rouge ou le triangle),
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- catégorisation (exemple : le cheval doit désigner l’objet le plus grand)
- généralisation (exemple : le cheval sait désigner le rouge, combien de temps lui faut-il pour comprendre qu’il doit désormais désigner le vert ? ou désigner quelque chose de rouge dans une situation complètement différente ?)
Ces tests peuvent être menés en laboratoire intérieur ou extérieur face à des signalétiques placées face au cheval, ou encore, depuis le milieu des années 2010, par présentation d’écrans tactiles. La capacité des chevaux à comprendre ce qu’ils voient sur l’écran et à toucher celui-ci serait comparable à celle des primates !
Les études menées sur la mémoire à long terme sont passionnantes et donnent une toute nouvelle dimension à nos échanges avec les chevaux. L’une d’entre elles a ainsi montré que des chevaux ayant appris une tâche précise, sont capables de la reproduire 10 ans plus tard avec le même taux de réussite, sans aucune séance ou entraînement identique entre les deux tests.
(Rappel : n’oubliez pas de consulter la page « Sources Module 1 »)

- La permanence de l’objet est une capacité cognitive testée chez de nombreuses espèces animales, et apparaissant progressivement chez l’enfant humain jusqu’à l’âge de 2 ans environ. Elle est évaluée sur six niveaux de complexité croissante. Alors qu’au stade 1, l’individu ne perçoit l’objet que de manière sensorielle (comme le nouveau-né ressent le sein de sa mère sans en avoir conscience), le stade 6 correspond à une capacité bien plus évoluée : celle de comprendre que l’objet continue à exister même s’il est caché, et de pouvoir retrouver cet objet dissimulé de manière invisible. Le cheval, comme la majorité des autres espèces animales testées, ne réussit pas à reconstruire mentalement le déplacement de l’objet caché et ne parvient donc pas au stade 6. Cependant, ses capacités à retrouver un objet dissimulé devant eux (par exemple, placé sous un gobelet) et à adapter sa réponse quand l’objet n’est pas au même endroit que lors des tests précédents (on dit qu’il ne « commet pas l’erreur de persévération », il valide donc le stade 5/6) associées à ses autres capacités sensorielles (odorat, vue, audition…) le rendent tout à fait performant et efficace dans son environnement habituel !
En revanche, ces résultats expliquent pourquoi les chevaux ont peur de ce qui surgit sans prévenir, des objets ou des personnes qui « apparaissent » à droite d’un mur après être passés par la gauche… alors que cela vous semble logique et évident depuis votre plus tendre enfance !

2. Un ami qui nous comprend bien
La théorie de l’esprit explique la capacité des individus à avoir conscience d’eux-mêmes et à prêter aux autres des pensées, des intentions et des désirs. Un animal comprenant ce que perçoit et ressent un autre individu va adapter son comportement et sa communication sociale à ces informations. Des aptitudes primordiales pour un animal grégaire devant sa survie à la cohésion sociale, mais peu étudiées chez le cheval jusqu’à très récemment.
Les capacités cognitives du cheval les plus troublantes sont probablement liées à cette aptitude à percevoir et à comprendre les émotions de l’autre. Dans le cas de la relation Homme-Cheval, il est en effet capable de généraliser des capacités normalement sollicitées dans le cadre d’échanges intraspécifiques à des interactions avec un membre d’une autre espèce : l’homme. Par exemple, votre cheval reconnaît non seulement l’état émotionnel d’un congénère et se comporte en fonction de ce qu’il ressent, mais il est également capable de déduire votre ressenti et de s’y adapter ! Passons en revue quelques résultats d’études passionnants…
Reconnaissance de l’autre
On sait aujourd’hui que le cheval reconnaît les humains familiers qu’il côtoie sans difficulté et de manière multimodale : il reconnait votre visage, mais aussi votre corps, votre odeur ou votre voix ! Par exemple, si l’on présente au cheval la photo d’un humain connu en diffusant le son d’une voix inconnue (incongruence), il exprime fortement sa surprise et son incompréhension.
Compréhension des connaissances de l’autre
Comment savoir si le cheval sait ce que nous savons ? Lors d’une étude, un humain cache de la nourriture dans un seau. Deux autres humains sont présents : l’un face au seau, l’autre de dos. Le cheval sollicite spontanément beaucoup plus l’humain ayant pu voir le seau. Il sait donc que nous voyons, et comment nous voyons !
Compréhension des intentions
Comme cela a été testé chez de nombreuses espèces, on a voulu savoir si le cheval comprenait le « pointage » que nous utilisons très fréquemment pour désigner quelque chose. Et la réponse est oui : si un humain pointe vers un seau avec sa main, son doigt, son pied ou même son regard (!), le cheval aura tendance à suivre ces indications précieuses. Il a donc conscience que c’est un moyen que nous utilisons pour communiquer, et s’y adapte sans souci !
Reconnaissance des émotions de l’autre
Le cheval peut non seulement reconnaître notre état émotionnel (y compris sur photo, ce qui implique une compréhension de la représentation d’objets connus en 2D !), mais il est lui-même influencé ce qu’il perçoit ! Des modifications physiologiques immédiates prouvent ce fait : rythme cardiaque, activité locomotrice… Face à un humain anxieux, le cheval va ainsi lui-même exprimer du stress.
Encore plus fort : après avoir regardé des photos d’humains « heureux » et d’humains « en colère », le cheval mis en présence des mêmes humains prennent beaucoup plus de temps à approcher de celui qui avait été photographié « en colère ». En résumé, le cheval perçoit, s’adapte et se souvient des émotions de l’autre !
3. Plasticité et adaptabilité comportementale
Un dernier point est intéressant à noter quand on parle de la cognition du cheval domestique : ses incroyables capacités à exprimer des comportements innovants, inédits en milieu non-captif et influencés par la vie au contact de l’homme. Avez-vous déjà vu un cheval ouvrir la porte de son box ou de son pré ? libérer un congénère que vous aviez enfermé au paddock ? utiliser un stick pour se gratter le dos ? Des études sont en cours à ce sujet et annoncent de belles surprises…
Avec la domestication, le cheval a donc développé des capacités étonnantes d’apprentissage, de reconnaissance des émotions humaines ou encore d’utilisation d’outils ! Capables de discriminer et de mémoriser des situations puis de généraliser ce savoir sur de très longues périodes, il dispose d’un atout de taille pour communiquer avec une l’espèce humaine.
Ce qu’il faut retenir des capacités cognitives du cheval, c’est qu’elles sont multifactorielles : en fonction de facteurs intrinsèques (comme l’âge ou la race du cheval) et de facteurs extrinsèques (situation anxiogène ou présence d’un humain connu et familier), le cheval sera plus ou moins performant. Le tempérament, l’état de santé ou encore la présence de stimuli stressants peuvent influencer ses réponses cognitives… dans le bon comme dans le mauvais sens ! En effet, il est par exemple prouvé que les chevaux réactifs devenaient plus performants en situation de stress exogène. De plus, plus un cheval est performant, plus il réussit rapidement et de manière fiable les tests suivants : comme un étudiant ayant de bonnes notes est bien plus stimulé et motivé qu’un élève en situation d’échec, il adopte un état d’esprit optimiste et devient de plus en plus efficace !
Intéressant : les chevaux qui ont évolué à nos côtés ont donc développé des capacités incroyables pour communiquer, se faire comprendre et tirer le meilleur parti de leur environnement. Et ironiquement, c’est la vie domestique qui a également fait apparaître des comportements aberrants et autres stéréotypies (les comportements indésirables et les indicateurs de mal-être seront traités au Niveau 2 de la formation) qui altèrent profondément et durablement les capacités cognitives du cheval.
Applications dans le cadre de la relation Homme-Cheval – Un cheval bien dans sa tête et dans son corps apprend mieux : si vous avez l’impression que vos séances sont laborieuses, que votre cheval ne comprend pas ce que vous lui demandez, qu’il a du mal à se concentrer… interrogez-vous ! Est-il physiquement et mentalement prêt à être performant ? A-t-il mal quelque part ? Vient-il d’intégrer un nouveau groupe social ? Essayez de cibler ce qui pourrait l’affecter en dehors des séances pour l’aider à les apprécier. – Le cheval apprend à apprendre : Faites-lui aimer l’école ! Un individu qui ne comprend pas ce qu’on lui demande et qui ne sait jamais ce qu’il est censé répondre aura vite tendance à se désintéresser de la tâche. En revanche, un cheval qui réussit, à qui l’on confirme que ses propositions sont justes, que l’on récompense pour ses efforts devient de plus en plus performant ! Non seulement, le solliciter cognitivement le rend plus efficace, mais cela le rend également plus enthousiaste ! |
EXERCICE – MODULE 1 – CHAPITRE 5
- Testez la permanence de l’objet – Il vous faut deux seaux et une récompense alimentaire appréciée par votre cheval (fruits, bouchons de légumes ou de luzerne…). Assurez-vous que les deux seaux ont été imprégnés de l’odeur de l’aliment de manière comparable : vous pouvez frotter la nourriture à l’intérieur des seaux, en scotcher dans le fond des deux seaux… L’important, c’est qu’il ne puisse pas se repérer en discriminant à l’odeur.
Puis cachez de la nourriture sous un seul des deux seaux retourné – toujours le même ! – et laissez votre cheval chercher, se tromper et trouver l’aliment. Vous pouvez par exemple mettre l’aliment toujours sous le seau de droite, ou toujours sous le seau rouge. A vous de choisir !
Recommencez autant de fois qu’il est nécessaire pour que votre cheval n’hésite plus et aille directement et activement vers le seau-récompense. Puis surprenez-le ! Changez l’aliment de seau et observez : combien de tentatives faut-il pour que votre cheval trouve le nouvel emplacement ? S’adapte-t-il rapidement ou a-t-il tendance à persévérer et à aller systématiquement vers celui qu’il avait jusque-là associé à la nourriture ?
2. En gardant à l’esprit tout ce que vous avez vu lors de ce Module, essayez de définir le plus précisément possible vos objectifs pour les semaines à venir. Maintenant que vous savez
- Quels sont les critères pour qu’une relation soit positive,
- Ce que votre cheval comprend en vous regardant et quelles sont ses capacités cognitives,
Posez-vous la question suivante : qu’aimeriez-vous améliorer dans votre relation ? Quels sont les points sur lesquels vous avez envie de travailler (son attitude à votre égard, la finesse de vos exercices, la motivation pendant les séances, le calme lors de vos interactions…). Soyez précis : cela vous sera utile lors des prochains Modules !