Introduction
Conclusion

Chapitre 4 – L’impact de la domestication sur le physique du cheval

1. Un animal fait pour bouger

Aujourd’hui, le genre Equus regroupe toutes les races de zèbres, ânes et chevaux, de l’hémione sauvage au cheval domestique. Sans rentrer dans les détails complexes de l’évolution et de la phylogénie, il est intéressant de retenir que la première espèce affiliée à la famille Equidae, l’hyracotherium, mesurait environ 30 centimètres au garrot et se déplaçait sur des coussinets semblables à ceux d’un chien dans les forêts de l’Eocène (60 millions d’années). Il faut attendre le pliohippus, apparu il y a 12 millions d’années, pour que les ancêtres du cheval se mettent à marcher sur un seul doigt ! Les premiers spécimens du genre Equus seraient quant à eux âgés de 4 à 5 millions d’années et mesuraient aux alentours de 120 centimètres au garrot.

Au fur et à mesure, l’équidé se spécialise : les membres s’allongent et s’affinent, la dentition s’adapte à une alimentation végétale rase et très fréquente, les yeux s’élargissent et se placent sur les côtés du crâne. Le cheval actuel est fait pour bouger rapidement et observer constamment.

Évolution des pieds
Évolution du crâne

Dès sa naissance, le poulain est fait pour se lever et pour se déplacer aux côtés de sa mère. Espèce nidifuge et taillé pour la fuite, le cheval a un besoin vital de déplacement. Dans le cadre de la relation Homme-Cheval, on peut donc s’interroger sur les naissances au box, les jeunes chevaux hébergés dans des paddocks étroits ou le recours à des marcheurs automatisés pour pallier le manque d’exercice…

 

2. Le cheval, un animal devenu sédentaire ?

Même un cheval vivant dans 10 hectares avec des congénères connus et appréciés ne pourra jamais parcourir autant de kilomètres que son cousin des plaines inhabitées… Le constat est difficile mais nécessaire : chevaux sauvages et domestiques ont le même physique mais ne doivent pas faire face aux mêmes contraintes !

Avec la domestication, le cheval a dû s’adapter aux modes de vie humains. Et rares sont les situations où son nouveau statut lui a permis d’accéder à la fois à de l’espace et à des contacts sociaux ! Tributaire des déplacements des populations humaines, tour à tour compagnon de voyage isolé de ses congénères (chevaux de berger), moyen de locomotion hébergé en bâtiment urbain (chevaux de cocher) ou encore monture de sport vivant en box, il a dû renoncer à ce qui le maintient en vie : le mouvement libre et autodéterminé. Bien sûr, il existe des exceptions : les chevaux mongols par exemple ont généralement accès à des espaces très étendus et retrouvent leur vie en groupe entre chaque interaction avec l’Homme.

Plus près de chez nous, certaines structures ont à cœur de permettre un maximum de mouvement et depuis quelques années fleurissent des systèmes brevetés de « Paddock Paradise » ou d’« Ecurie Active ». Mais si ces innovations sont positives et corrélées avec un accroissement du bien-être du cheval domestique, elles ne sauraient remplacer des kilomètres de terrain diversifié parcourus en marche active.

 

3. Apparition de maladies

Comme le disait Leonard de Vinci « le mouvement est le principe de toute vie ». Et donc sans mouvement, des dysfonctions apparaissent ! L’espèce humaine est confrontée depuis quelques décennies aux conséquences de la réduction de l’activité physique : obésité, diabète, hyper-tension, complications osseuses ou autres maladies coronariennes ne sont qu’une face du problème. En plus des dérèglements physiques, l’être humain inactif s’expose à une moins grande plasticité cérébrale, à des sautes d’humeur et à des chamboulements hormonaux complexes. Et ce qui est vrai pour notre espèce l’est d’autant plus pour un animal comme le cheval !

1. L’alimentation

Le cheval marche en mangeant et mange en marchant ! Immobile ou enfermé dans un box, il ne peut ni choisir ni diversifier son alimentation, et il est très rapidement confronté à des déséquilibres réels. Marcher permet le fonctionnement de tout le système digestif et la progression du bol alimentaire. Douleurs, ulcères… les conséquences peuvent être lourdes, d’autant plus si votre cheval manque de fibres et de nutriments essentiels.

2. Les blessures

S’il ne peut pas bouger suffisamment, votre cheval sera plus enclin à développer de l’arthrose, des tendinites, de l’ostéoporose et certains types de fractures. En plus de cette fragilité, il aura plus de mal à récupérer et pourra garder des séquelles plus importantes. Moins souple, moins habitué à gérer son équilibre et à s’autoporter sans intervention humaine, le cheval maintenu dans 12m2 sans activité adéquate peut non seulement subir des crispations musculaires et des courbatures plus inconfortables qu’un cheval au pré, mais il en vivra également les conséquences plus longtemps. Rappelez-vous votre dernière séance de sport intensive : après quelques heures à regretter d’avoir dépassé vos limites, n’avez-vous pas eu besoin de solliciter vos muscles en douceur… avant de vous promettre de vous préparer plus calmement la prochaine fois ? Plus le cheval mobilise son corps, moins il souffre à l’effort.

3. Les maladies chroniques

Les affections chroniques comme la dermite ou l’emphysème trouvent un terrain propice dans l’organisme soumis à une inflammation. Si augmenter l’activité physique de votre cheval ne va pas le soigner du jour au lendemain (si seulement !), il est en revanche certain que les chevaux vivant en extérieur depuis leur naissance et se déplaçant au gré de leurs envies ont moins tendance à développer ce type de maladies. Alors en dehors de crises douloureuses, soignez votre cheval et prévenez de potentiels problèmes de santé : faites-le bouger !

 

Mais alors, comment rajouter du mouvement ?

– Déplacement libre : il est primordial d’offrir à votre cheval du mouvement autodéterminé, surtout s’il vit en box. Le monter ou le travailler au sol ne remplace pas ce besoin. Le « faire bouger » avec une chambrière non plus : lâchez-le dans un espace sécurisé et laissez-le choisir ! C’est à lui de savoir s’il a besoin de galoper, de se rouler ou d’observer son environnement à l’arrêt. Il doit avoir la possibilité de choisir quand et comment bouger tous les jours, pendant un laps de temps le plus étendu possible.
– Déplacement dirigé : en parallèle, vous pouvez bien sûr lui proposer des séances à vos côtés, même si votre cheval vit au pré. Afin de mettre en place une relation agréable, veillez à ce que tous les moments en mouvement qu’il passe avec vous ne soient pas exclusivement dédiés au travail : pourquoi ne pas aller marcher ensemble ? Comme vous feriez une balade avec un ami, sortez et bougez ! Si vous en avez la possibilité, promenez-vous activement 30 à 60min à chacune de vos visites. Au bout de quelques semaines, sans travail supplémentaire, vous verrez son attitude changer : son corps aura commencé à fonctionner de manière plus adéquat (et le vôtre aussi !), certaines douleurs pourront avoir disparu… et votre relation aura probablement évolué dans le bon sens ! 
Important : si votre niveau ou le comportement de votre cheval ne vous permettent pas encore de vous promener de manière sécuritaire, attendez d’avoir étudié les Modules suivants !

 

En parallèle de cet aspect délétère du manque de mouvement général, il semble primordial de noter que le cheval domestique actuel a dû s’habituer à un nouveau type d’activité physique : galops soutenus, trottings hebdomadaires, reprises de dressage… Les chevaux de sport, toutes disciplines confondues, du reining au concours complet d’équitation, peuvent maintenir une allure élevée pendant plusieurs dizaines de minutes (voire des heures d’affilée pour les chevaux d’endurance). Leur corps s’est adapté à ce nouveau rythme, transpirant et supportant l’effort avec le poids d’un cavalier sur le dos. Comme leurs ancêtres destriers et autres chevaux de travail, nos montures apprennent à nos côtés à réaliser un effort considérable, complètement à l’opposé à leur budget-temps en milieu non-captif (plus de précisions sur les activités du cheval « sauvage » seront apportées au Module 3).

 

4. Impact de la sélection et de l’élevage sur le quotidien du cheval

L’être humain a donc profondément influencé l’activité locomotrice du cheval, soit en la restreignant soit en la rendant intense et contraignante. Mais l’impact de l’homme se retrouve également dans l’évolution morphologique du cheval.

L’élevage de chevaux implique que l’humain gère toute la reproduction, du choix des géniteurs aux soins des poulains. Dès l’Antiquité, les cavaliers imposent au cheval leur vision du corps parfait. Avec la spécialisation des différentes races, la différenciation des chevaux de guerre et de champs, la création des sports hippiques ou des clubs équestres, le physique est modelé, les reproducteurs sélectionnés, les critères officialisés. Aujourd’hui, on s’entend généralement sur quelques critères universels : des aplombs corrects, des jarrets solides et descendus, une encolure bien attachée… sont réputés nécessaires au bon cheval de selle. On observe l’ouverture de son œil pour en déduire son tempérament, ou la taille de ses balzanes pour estimer sa « docilité ». On recherche une épaule horizontale chez le cheval de course et une croupe puissante chez le cheval de trait.

Mais ce qui est intéressant, c’est que ces critères, indubitablement essentiels à l’activité à laquelle ils sont destinés, ne sont pas tout à fait ceux qui prévalent en milieu non-captif…

Observez le cheval ci-dessous: il s’agit de Picasso, un étalon mustang américain très médiatisé. Pas tout à fait le physique de la monture de sport parfaite, n’est-ce pas ? Pourtant, ce cheval aurait une trentaine d’années et son physique semble parfaitement adapté à sa vie sauvage …

La sélection des chevaux et leur vie aux côtés des humains a eu une autre conséquence : la mainmise sur leur gestion des éléments et du climat. En voici quelques exemples :

1. En hiver, il est tentant d’utiliser des couvertures pour protéger et préserver nos chevaux. Pourtant, la grande majorité d’entre eux n’en a pas besoin. Pire, les couvrir à outrance a deux conséquences néfastes :

  • le poids de la couverture (même légère) empêche la pilo-érection. Ne pouvant plus se soulever, le poil n’assume pas son rôle thermorégulateur… et le cheval a froid !
  • des chevaux couverts précocement chaque année finissent pas « faire moins de poils ». Ils sont de moins en moins aptes à affronter le froid, nécessitent de plus en plus de couvertures… et le cercle vicieux s’enclenche.

2. L’attirance des cavaliers actuels pour les chevaux de couleur a également amené une augmentation du nombre d’animaux avec des peaux plus fragiles (« roses »). Masques anti-UV et application de crème solaire peuvent être nécessaires pour le bien-être de ces chevaux, qui souffrent parfois de véritables brulures estivales et doivent rester à l’ombre une bonne partie de la journée.

3. Les chevaux domestiques semblent beaucoup plus sensibles aux insectes que leurs congénères sauvages. En effet, les équidés de type primitif comme le Przewalski ou encore le Zèbre de Grevy, ont des crinières courtes et vivent dans des espaces ouverts. Il est possible que la sélection des robes de couleur, ainsi que l’attrait des cavaliers pour des chevaux tactilement sensibles, les aient rendus moins compétents face à l’ennemi volant…

Attention : certains chevaux ont vraiment besoin d’être couverts et protégés artificiellement ! Ce n’est pas naturel mais cela peut être nécessaire, en fonction de son état, de son âge, de votre région ou de ses antécédents. Pour son bien-être, respectez toujours sa sensibilité et ses besoins.

EXERCICE – MODULE 1 – CHAPITRE 4

Lancez-vous un « défi mouvement » !

En fonction de votre niveau, de celui de votre cheval et de vos infrastructures, vous pouvez ne réaliser que l’une des deux étapes. Si possible, alternez les deux options à chaque de vos visites pendant minimum 10 jours (Jour 1 : option 1 / Jour 2 : option 2 / Jour 3 : option 1 / Jour 4 : option 2 …). En dehors de cet exercice, ne changez rien à vos habitudes ! Vous pouvez monter votre cheval comme d’habitude, lui faire un pansage ou lui distribuer ses friandises. Pour le moment, contentez-vous de rajouter du mouvement à vos pratiques… même si votre cheval vit en troupeau.

  1. Le lâcher seul dans un endroit clos pendant minimum 30 minutes : ne cherchez pas à le faire bouger ! Votre cheval doit pouvoir choisir sa vitesse et sa direction, même si cela consiste à passer 20 minutes devant la porte du manège.
  2. Partir vous promener ensemble en extérieur pendant minimum 30 minimum : l’objectif est ici de vous déplacer ! Pas de pause photo ou d’arrêt goûter : marchez côte à côte d’un pas actif mais détendu.

A chaque fois que vous réalisez l’un de ces exercices, essayez de noter :

  • L’attitude générale de votre cheval : semble-t-il agité ? serein ? est-ce qu’il hennit souvent, vous bouscule, trottine en longe ? est-ce qu’il respire tranquillement, observe son environnement ? Observez à la fois son physique (oreilles, encolure, queue, dos…) et son mental (transpiration, vitesse des allures…).
  • Votre attitude générale : êtes-vous focalisé.e sur vos pas ? sur votre cheval ? pensez-vous à la vaisselle qui traine ou écoutez-vous les oiseaux ? ressentez-vous des crispations (épaules, dos, mâchoires…) ? comment qualifieriez-vous votre respiration (calme, rythmée, saccadée, accélérée…) ?

A la fin des 10 séances – ou plus ! – reprenez vos notes dans l’ordre et comparez-les : quelle évolution observez-vous, à la fois sur votre cheval et sur vous ? Quelles sont vos conclusions ?