Introduction
Conclusion

Chapitre 3 – L’importance de la notion de sécurité

1. Une relation interspécifique asymétrique

Un problème de taille

Bien que l’humain soit garant de la santé de son cheval, qu’il soit responsable de le nourrir, de l’héberger et, généralement, d’assurer son bien-être global comme il le fait avec d’autres espèces domestiques, il fait face dans cette relation à un « déséquilibre » bien particulier : sa taille physique. Comme avec certains bovins, ou encore avec l’utilisation d’éléphants dans certains pays asiatiques, l’être humain doit communiquer, c’est-à-dire transmettre des messages et tenter de comprendre, un être vivant pouvant faire dix à vingt fois son poids. Taillé pour la fuite, le cheval n’en est pas moins capable de se défendre s’il s’y sent contraint et les conditions peuvent être désastreuses, tant pour le cavalier que pour sa monture.

Il est intéressant de noter que, dans le monde (ou du moins dans les pays fournissant des statistiques sur le sujet, tels que les Etats-Unis, le Canada, l’Europe occidentale…), 30 à 40% des accidents liés au cheval résultent d’une interaction au sol ! Blessures à divers degrés, traumatismes crâniens, décès… pas besoin de monter à cheval pour se faire mal. Et parce que le cheval n’a pas la taille d’un hamster, ce spectre de l’accident peut rajouter une ombre pesante sur une relation déjà complexe et fortement influencée par l’état émotionnel du cavalier. Combien de personnes autour de vous ont renoncé à approcher les chevaux suite à un malencontreux accident ? Combien disent avoir peur de sa masse, de sa présence, de ses réactions « imprévisibles » ?

 

Et de connaissances

Pendant longtemps, le cheval, bien que proche de l’homme, a été un outil. Travailler avec lui impliquait de le connaître suffisamment pour ne pas se mettre en danger. Que les champs soient de semences ou de bataille, la collaboration était nécessaire à la survie. Les connaissances n’étaient évidemment pas aussi étendues que celles dont nous disposons actuellement, mais elles étaient transmises et mises en pratique.

Aujourd’hui, dans notre société, les humains interagissant avec des chevaux sont principalement des cavaliers de loisir. En théorie, ils ont accès à de meilleures connaissances sur les besoins et le fonctionnement du cheval. L’avènement des réseaux sociaux où circulent énormément d’études, de vidéos et d’articles de vulgarisation (dont le tri n’est pas toujours simple…), mais également la prolifération des médias spécialisés (magazines, reportages, blogs…), la tenue de colloques ou autres « Journées de la Recherche » permettent au grand public d’accéder facilement au savoir et à l’expérience d’autres passionnés, professionnels ou amateurs. Mais cet amoncellement de sources, qu’elles soient fiables ou non, ne remplace pas les heures passées au contact de l’animal…

L’enseignement actuel de l’équitation ne permet que rarement de ressentir ce que les chevaux ont à nous dire. Adolescents juchés 50 minutes par semaine sur une selle souvent non-adaptée, cavaliers occasionnels ayant renoué « sur le tard » avec leur passion d’enfant, professionnels du cheval courant après le temps et n’ayant eux-mêmes pas eu la possibilité d’apprendre et de comprendre l’éthologie du cheval… Les profils diffèrent mais l’une des conséquences est malheureusement assez généralisable : cette méconnaissance de l’animal suscite un nombre important de blessures et d’accidents dont bon nombre auraient pu être évités.

Avoir une meilleure compréhension de la relation Homme-Cheval ne devrait pas être l’objectif que d’une poignée d’humains sensibles et volontaires. Savoir comment interagir avec son cheval est une absolue nécessité pour établir un climat serein et sécuritaire, terreau essentiel à une relation positive.

 

2. Études menées sur la sécurité du cavalier

Parler de sécurité du cavalier est souvent tabou : pour beaucoup, cela signifie que l’on craint le contact avec le cheval, que l’on a peur de se faire mal, que l’on manque de confiance en nous… En résumé : que l’on devrait s’abstenir d’approcher les chevaux. Pourtant, loin de remettre en cause nos capacités et notre expertise, se former afin d’éviter le plus d’accidents possible est une réelle preuve de bon sens. Une qualité indispensable à tout Homme et Femme de Cheval…

Ces dernières années, plusieurs études (retrouvez les références sur la page « Sources du Module 1) se sont penchées sur les réactions du cheval et leur impact sur sa relation à l’Homme. En voici quelques conclusions et éléments de réflexion afin d’améliorer (et potentiellement d’apaiser) les interactions du quotidien :

  • Le pansage : inévitable et répété fréquemment, le pansage suscite des réactions négatives chez 50% des chevaux étudiés… et des indicateurs de bien-être chez seulement 5% d’entre eux ! On observe que, non seulement, les cavaliers confirmés et les professionnels n’ont pas une gestuelle plus douce ou plus adaptée à la sensibilité des chevaux que les cavaliers débutants, mais également que le mal-être ressenti par ces derniers et leurs comportements menaçants (tentatives de coups de pied, de morsure, bousculades…) sont largement ignorés ou minimisés. Attention donc à ce moment si particulier : votre cheval a peut-être un message à vous transmettre ! S’il couche les oreilles en arrière, secoue la tête, ne reste pas en place : acceptez sa gêne et voyez comment améliorer la situation.
  • L’impact de l’hébergement : les chiffres sont édifiants : les chevaux hébergés en boxes individuels avant le débourrage expriment cinq fois plus de morsures et de coups de pied envers l’humain que leurs congénères vivant au pré, et dix fois plus de défenses fortes sous la selle que des chevaux maintenus en enclos extérieur. Face à un cheval qualifié de « rétif », votre premier réflexe doit donc être de vous demander s’il vit au pré et au sein d’un groupe stable…
  • Les douleurs chroniques : cela semblera évident, mais il est nécessaire de garder en tête qu’un animal qui souffre est en situation de mal-être et qu’il aura tendance à être plus agressif envers les humains. Et près de 75% des chevaux de centres équestres souffriraient du dos… Comment sensibiliser les cavaliers au bien-être animal si les indicateurs de douleur sont banalisés ? Seller un cheval qui souffre ne devrait jamais être une option. Cela revient non seulement à mépriser ce qu’il ressent, mais cela l’encourage également à devenir de plus en plus virulent et dangereux pour les humains qui l’entourent.
  • Les manipulations non respectueuses : la contention lors d’évènements potentiellement stressants (soins, vermifuges…), des manipulations trop invasives (notamment à la naissance ou lors du sevrage), l’apprentissage contraint et sans contrepartie agréable ou encore l’utilisation de la punition influencent fortement et négativement le cheval. Peu à peu, l’animal va associer non seulement ces moments à quelque chose d’inconfortable, mais également se méfier de toute interaction humaine.

Nous verrons lors de Modules suivants quelles méthodes privilégier, et comment mettre en place des séances de travail qui laissent un souvenir positif et motivant.

Il est intéressant de noter que la majorité des accidents ont lieu « à la maison », dans un lieu familier et maîtrisé tant par le cheval que par son cavalier. Les raisons principales évoquées par ces derniers sont, dans l’ordre : un cheval effrayé, une erreur commise par un autre humain (qui aurait donc effrayé le cheval ?), un jeune cheval ou un nouveau cheval. Le constat est donc évident. Pour votre sécurité à tous les deux et pour préserver votre relation, il est absolument nécessaire

1. d’apprendre au cheval à gérer ses émotions et à tolérer les « surprises » de son environnement,

2. de s’attacher à cumuler les interactions positives tout en éliminant les causes de mal-être dès les tout premiers instants à vos côtés.

 

Un cheval agressif rencontre deux types de situations problématiques.

Tout d’abord, frustré, mal à l’aise, souffrant, il peut exprimer des comportements redirigés et donc devenir agressif envers ses congénères. Or, un cheval malheureux a besoin de contacts sociaux apaisés et non d’une situation conflictuelle au sein de son groupe.  

De plus, votre cheval généralise ce qu’il vit à vos côtés à ses interactions avec les autres humains : s’il a mal alors que vous effectuez un pansage, il se méfiera bientôt de tout contact humain. Et malheureusement, la réciproque sera rapidement vraie ! Les humains deviendront de plus en plus méfiants, les contacts de moins en moins agréables, les gestes punitifs de plus en plus fréquents, le cheval de plus en plus agressif… Un cercle vicieux qui aura mené de nombreux animaux à l’abattoir…

En revanche, si vos rencontres sont généralement positives et agréables, il aura tendance à être plus serein et facilement manipulable au passage du vétérinaire… ou lors d’un potentiel changement de propriétaire. Soigner votre relation permet donc non seulement d’augmenter votre bien-être et votre sécurité à tous les deux, mais également de préserver les autres êtres vivants, humains ou équins, qu’il est amené à rencontrer.

Cheval Magazine n°486 – « Pansez positif », Marie Sutter

EXERCICE – MODULE 1 – CHAPITRE 3

1. Réfléchissez à un type d’interaction que votre cheval semble moins apprécier : il peut s’agir du pansage, de la visite du pareur/maréchal ou même de votre arrivée au pré. Sans jugement (et sans culpabilité !), listez les indicateurs de gêne que vous observez : est-ce que votre cheval couche les oreilles ? plisse les naseaux ? se détourne ou même s’éloigne ? L’exercice peut être déstabilisant mais il vous sera précieux.

2. Même exercice avec une situation que votre cheval apprécie ! Définissez un moment qui lui plaît particulièrement et les attitudes qui vous font comprendre ce qu’il ressent : est-ce qu’il hennit doucement à votre approche ? cherche vos caresses ? s’ébroue ? Les indicateurs d’émotions positives sont parfois difficiles à cerner, alors faites-vous confiance et notez tout ce qui vous semble correspondre.