Chapitre 3 – Aborder son cheval au pré / au box
1. Un souci (bien trop) fréquent
A l’inverse de ce qui a été évoqué au début du présent Module, l’objectif de ce chapitre est d’aborder son cheval de manière franche afin de créer un contact tactile ou d’enchaîner sur une séance. Se présenter à son cheval n’est pas toujours évident : en fonction de son histoire personnelle, des débuts de votre relation, des conflits auxquels il peut être confronté au sein du troupeau, des pressions environnementales dont vous n’avez peut-être même pas conscience… il peut se montrer peu enthousiaste à votre arrivée.
Certains chevaux deviennent même de véritables « légendes » : souvent montures de club résignées, convaincus que l’être humain est synonyme de reprise douloureuse, de matériel inconfortable ou de punitions incompréhensibles (ou les trois à la fois…), ces chevaux finissent par accueillir tous les cavaliers qui les approchent avec la croupe ou les dents en avant. Redoutés, ils sont abordés de la mauvaise manière : on parle de « leur montrer qui est le chef », on parle fort, on les bouscule, voire on les frappe en se demandant comment leur faire passer cette « mauvaise habitude ». Et en ayant cette attitude, l’humain renforce le problème : se méfiant de plus en plus du moindre contact, souffrant physiquement et mentalement, le cheval devient de plus en plus agressif… ce qui finit par entraîner une augmentation des comportements inappropriés de l’humain ! Un cercle vicieux qu’il convient de désamorcer au plus vite, pour la sécurité de tous.
Le problème du cheval « inabordable » se rencontre aussi au pré. Combien de cavaliers courent pendant des heures derrière leur monture alors qu’ils avaient prévu une grande balade dynamisante ? Combien finissent par user de stratagèmes sans cesse renouvelés, coinçant leur cheval dans un coin, lui accrochant le licol tant bien que mal pendant qu’il se nourrit ou le guidant jusqu’à un sas de fils précaires afin d’espérer attirer son attention ?
Avoir un cheval qui apprécie notre présence, voire qui vient vers nous lorsque nous arrivons à l’écurie, est non seulement une situation agréable, qui nous fait gagner du temps et de l’énergie, mais c’est également la preuve que la relation que nous entretenons est positive et saine. Voyons comment y parvenir…
2. L’origine du problème
Lorsqu’un cheval fuit le contact avec l’humain, il y a toujours une raison. Ou plusieurs. Aucun cheval ayant eu un développement normal, des soins adaptés et un sevrage respectueux ne devrait chercher à éviter le licol. Aucun cheval ne décide un matin qu’il ne se laissera plus « attraper » alors qu’il allait jusque-là voir son humain familier avec entrain. Il convient donc de s’interroger sur les raisons qui peuvent amener cette situation pour pouvoir agir, rassurer et rectifier.
Causes liées à son histoire personnelle
- Début de vie et sevrage :
- Difficultés au moment de la naissance ou du sevrage / manipulations trop invasives / mère, premier modèle social, qui éprouvait elle-même de la crainte vis-à-vis des humains
- Mauvaise socialisation :
- Manque de modèles sociaux / hébergement dans des groupes non-mixtes (par exemple, pas d’adulte présent)
- Besoins vitaux non comblés :
- Déséquilibre dans le budget-temps / manque de locomotion, de mouvement lent et autodéterminé / alimentation non-adaptée / sommeil paradoxal trop rare
- Douleurs physiques :
- Blessure / maladie chronique / peur d’avoir mal pendant la séance (matériel non adapté, séances trop intensives…)
- Changement récent de lieu de vie :
- Déménagement / concours / randonnée / changement de groupe ou de box au sein de la même écurie
- Conflit avec ses congénères :
- Intégration récente dans un nouveau groupe / arrivée ou départ d’un congénère / distribution de nourriture récente
Causes liées à vos interactions
- Attitude non-congruente :
- Émotions et gestuelle non-alignées / rythme cardiaque, voix, transpiration qui transmettent un stress
- Gestuelle non adaptée à sa sensibilité :
- Mise du licol peu respectueuse / pansage trop agressif / gestes trop présents, trop invasifs par rapport à son ressenti personnel
- Présence pas assez positive :
- Humain déconnecté / méthodes d’éducation coercitives / moments de repos trop rares
- Non prise en compte de ses messages :
- Indicateurs de mal-être négligés / attitude du cheval qui « empire » parce que les signaux initiaux sont ignorés ou méconnus / cheval qui n’essaie plus de communiquer
- Séances répétitives, peu motivantes, douloureuses :
- Courbatures trop fréquentes / rythme des séances pas adapté / lassitude du cheval, manque d’entrain, d’intérêt pour les exercices demandés.
Vous le voyez, les causes pouvant expliquer que votre cheval ne vient pas vers vous d’un pas actif et motivé sont nombreuses ! Et même si votre partenaire équin vous laisse l’approcher et lui mettre un licol sans souci, il est possible qu’il ne soit pas enchanté de vous suivre. Assurez-vous donc régulièrement d’être toujours le plus agréable possible dès votre arrivée à l’écurie si vous désirez améliorer ou préserver votre relation…
ATTENTION – PROTECTION DE RESSOURCE : Lors de votre arrivée au pré, vous pouvez être vu.e par votre cheval comme une ressource à protéger. L’avez-vous déjà vu empêcher ses congénères de vous approcher ? A-t-il tendance à menacer les autres, à se crisper et à devenir très vigilant en votre présence ? Vous assistez alors à la mise en place d’une relation de dominance face à une ressource limitée : vous ! Comportements agonistiques, risques de blessures, conflits dans le troupeau… La situation est plutôt inconfortable et peut même devenir dangereuse. Si l’on peut avoir tendance à être « flatté » par ce comportement (« il m’aime tellement qu’il veut me garder pour lui »), il est pourtant nécessaire de rester attentif. Ne tolérez pas ce type de confrontation en votre présence. Apprenez à votre cheval à venir vers vous et à s’éloigner des autres avant de lui donner votre attention, quitte à l’attendre au niveau de la porte du pré pour ne pas vous retrouver coincé.e au milieu du groupe. Assurez-vous également que tous ses besoins essentiels sont respectés et que vous ne créez pas de conflits par votre attitude : pas de distribution collective de nourriture au milieu du pré si vous observez ce type d’attitude ! |

3. Marche à suivre
Quelle attitude dès mon arrivée ?
Avant même de rentrer dans l’écurie ou de sortir de votre voiture, prenez le temps de faire le vide, de vous ancrer, de vous centrer. Pourquoi êtes-vous là ? Quels sont vos objectifs ? A priori, en vous dirigeant vers votre cheval, vous espérez passer un bon moment, profiter de cette pause dans votre quotidien, relever des défis ou atteindre des objectifs techniques. Il est donc absolument nécessaire d’arriver avec un état d’esprit positif, ou au moins de vous fixer des ambitions raccord avec votre humeur ! Vous avez le droit d’être dans un état émotionnel négatif, mais pas de l’imposer à votre cheval. Si vous vous sentez mal, que vous êtes allé.e voir votre ami équin pour tenter de rattraper votre journée, soit. Mais peut-être faut-il revoir vos ambitions de séance d’obstacle intensive ou de connexion parfaite au galop en liberté si vous désirez soigner votre relation.
Observer et prendre le temps
Au début, vous pourrez avoir besoin d’observer votre cheval à distance pendant plusieurs minutes puis quelques secondes suffiront : vous saurez à plusieurs dizaines de mètres de distance si votre cheval va bien, s’il est disponible pour vous accueillir. Prenez le temps de faire les « non-exercices » proposés au chapitre 1 du présent Module, regardez-le vivre, évoluer, communiquer avec ses congénères et son environnement.
Lui donner envie de venir vers vous
En général, on va privilégier l’option de laisser venir le cheval vers nous. Pour cela, plusieurs étapes : d’abord, arrêter nos pieds lorsque le cheval nous regarde afin de ne pas « profiter de la situation ». Sourire, se décontracter et ne repartir que si le cheval semble disponible : si vous avez l’impression qu’il est sur le point de fuir, qu’il regarde ailleurs, qu’il semble anxieux, ne bougez pas. Attendez. Vous ne marchez vers lui que lorsqu’il se décontracte. S’il semble attiré par vous ou fait un pas dans votre direction, aspirez-le en vous penchant en arrière ou en reculant très doucement : vous lui laissez ainsi de l’espace au lieu de continuer à créer de la pression.
Que faire si ça ne va pas ?
Selon le niveau de votre relation, il est possible que votre cheval ne s’intéresse pas du tout à vous et qu’il continue son activité en cours (brouter, la plupart du temps…). Dans ce cas, continuez selon la même logique : avancez tranquillement jusqu’à attirer son attention et fixez vos pieds quand il vous regarde enfin. Si vous arrivez à son niveau sans qu’il ait relevé la tête, appelez-le tranquillement, grattouillez-le : assurez-vous qu’il vous a repéré et associez cet instant à quelque chose d’agréable avant de lui passer le licol.
S’il s’éloigne alors, ce n’est pas grave ! Même chose s’il fuit. Recommencez les étapes dans l’ordre : marchez, arrêtez-vous quand il vous regarde, redémarrez quand il est disponible. Si vous tentez de « l’attraper » sans son accord, il s’en souviendra lors de votre prochaine interaction et vous retarderez le moment où il vous rejoindra de lui-même…
Quels souvenirs laisser ?
Selon votre niveau et vos objectifs, vous pouvez décider de laisser votre cheval après qu’il ait pris l’initiative de venir vers vous, afin de vraiment associer votre venue à quelque chose d’agréable. Ou vous pouvez enchaîner sur une séance de travail à ses côtés. Le plus important, c’est que votre cheval ne doit pas se sentir « arnaqué » : s’il fait l’effort de venir vers vous alors qu’il a l’habitude de vous fuir, et que cette initiative lui donne droit à une séance de trotting alors qu’il est encore courbaturé du concours de la veille, vous risquez de ruiner vos progrès. Mieux vaut renoncer à une évolution technique, qui sera toujours possible par la suite, que d’influencer négativement une relation. Rappelez-vous : une seule mauvaise interaction peut demander des semaines de concentration pour être effacée…
Travailler dans son pré ? Souvenez-vous : le cheval n’est pas territorial ! Oui, vous pouvez travailler dans son pré, même si d’autres chevaux sont présents. Mais si votre cheval n’y est pas habitué, il faut le préparer. Parce qu’ils ne s’attendent pas à être contraints ou soumis à des demandes humaines dans leur espace de vie, certains chevaux peuvent devenir agressifs. Il est donc primordial d’être progressif (commencez par lui demander de marcher avec vous 20 mètres puis relâchez-le !), tolérant (acceptez qu’il ne soit pas aussi concentré qu’en carrière ou qu’il soit facilement distrait par ses congénères), logique et respectueux (basez-vous sur les « 10 Grands Principes » évoqués au chapitre précédent). Vous pourrez bientôt établir une communication de la même qualité au milieu de votre pré qu’en carrière ou en extérieur ! |
EXERCICE – MODULE 4 – CHAPITRE 3
1. La prochaine fois que vous allez voir votre cheval, analysez la situation au regard de ce que vous avez appris au cours de ce chapitre. Faites-vous les choses par automatisme ? Ou prenez-vous le temps d’observer et de vous adapter à votre cheval ? Quelle est son attitude quand vous vous approchez ? Est-il confiant, intéressé par votre approche ? Ou plutôt fuyant, concentré sur son environnement ou gêné par la présence de congénères ?
2. Listez 2 à 3 détails de votre approche qui méritent une marge de progression : votre attitude, vos émotions, votre gestuelle, la mise du licol…