Chapitre 2 – Se connaître et prendre soin de soi
Pour devenir un ami fiable, rassurant et auprès duquel votre cheval aura plaisir à passer du temps, vous pouvez passer des heures à lire des ouvrages sur l’art équestre, visionner des dizaines de vidéos sur YouTube ou suivre des stages intensifs pour améliorer votre mise en selle. C’est une certitude : vous y gagnerez en connaissances et en théorie, et cela est nécessaire à votre progression technique. Mais cela va-t-il profondément modeler votre relation ? Tout ce savoir vous permettra-t-il vraiment d’établir un lien profond et durable avec votre cheval ?
Nous l’avons vu, l’amitié demande du temps, des échanges et des souvenirs positifs en commun. Elle nécessite le consentement et le bien-être des deux protagonistes. Et c’est souvent là que ça coince : parce que l’on se connaît mal, parce que l’on ne sait pas s’accepter et s’apprécier, nous ne sommes mentalement pas disponible pour « entrer en amitié »…
1. Une interrogation millénaire
Qui suis-je ? Pourquoi ? Comment ? Ces questions intrapersonnelles primordiales (et souvent prises de tête, avouons-le), nous ne sommes évidemment pas la première génération à nous les poser. Que les anciennes traditions se soient basées sur notre physique, le jour de notre naissance ou encore la qualité de notre sommeil, elles ont été nombreuses à proposer une classification des constitutions humaines. Voici deux approches complémentaires qui peuvent vous donner des pistes sur vos tendances personnelles :
Le tempérament selon Hippocrate
400 ans avant J.-C., le grec Hippocrate adopte une distinction quaternaire des tempéraments humains en s’appuyant sur l’astrologie, les quatre éléments et la prédominance de certaines humeurs (fluides corporels) dans notre organisme. Notre tempérament indiquerait les maladies que nous serions le plus à même de développer et les soins les plus adéquats, et serait lié entre autres à notre apparence et à notre génétique.
Résumé des tempéraments d’Hippocrate :
- Le lymphatique / prédominance de phlegme / sociable, peu actif / Eau / Nature froide-humide / Tempérament associé à la petite enfance
- Le sanguin / prédominance de sang / communicatif, chaleureux / Air / Nature chaude-humide / Tempérament associé à l’enfance, adolescence
- Le bilieux / prédominance de bile jaune / autoritaire, ambitieux / Feu / Nature chaude-sèche / Tempérament associé à l’âge adulte
- Le nerveux / prédominance de bile noire / mélancolique, réfléchi / Terre / Nature froide-sèche / Tempérament associé à la vieillesse
Ces distinctions ont rythmé la médecine pendant des siècles, et ont encore aujourd’hui une influence non-négligeable dans de nombreux courants de pensée.
Les éléments chinois
Aux quatre éléments présocratiques que sont la terre, l’eau, l’air et le feu, l’astrologie et la philosophie traditionnelle chinoise enlèvent l’air et ajoutent le bois et le métal (pour information, en ayurveda, le cinquième élément est l’espace, rappelant l’ether/vide cosmique que l’on retrouve dans plusieurs traditions). Associés aux signes astrologiques chinois (dépendants de notre année de naissance) et à une proportion de Yin et de Yang variable, les éléments permettent de définir une tendance de personnalité.
Que vous vous inspiriez ou non de ces classifications traditionnelles, l’important n’est pas de trouver la bonne étiquette à vous coller sur le dos. L’important, c’est de réfléchir à ce que vous appréciez, aux types d’activité qui vous conviennent, aux personnes que vous aimez côtoyer. Voyons comment s’y prendre…

2. Définir sa personnalité
Pourquoi ?
Connaître sa personnalité permet de comprendre comment l’on fonctionne et de savoir comment l’on réagit dans un certain type de situation. Si vous définissez par exemple que vous êtes plutôt quelqu’un d’anxieux et que les situations contraignantes vous fatiguent énormément, physiquement et mentalement, vous aurez un outil précieux pour anticiper ce type de situation et potentiellement les éviter. Si au contraire, les situations anxiogènes modérées vous stimulent et vous aident à repousser vos limites, votre attitude sera différente.
Mieux se connaître pour :
- Économiser de l’énergie
- Privilégier ce qui nous correspond
- S’accepter
- Se respecter
- S’aimer
Comment pourrions-nous demander au cheval de nous accepter comme ami si l’on se s’accepte pas soi-même… ?
Connaître et comprendre notre personnalité propre permet également de s’émanciper (autant que faire se peut) du conditionnement éducationnel et sociétal. Influencée par notre héritage génétique, notre environnement, notre histoire personnelle, notre personnalité est ce que nous sommes, mais surtout ce que nous en faisons. Parce qu’aucun trait de caractère n’est parfait, parce que tout être vivant a des atouts et des failles, en pensant à vous et en essayant de ne pas vous laisser influencer par ce que vous croyez que l’on attend de vous, vous vous faites un cadeau. Celui de vous regarder en face et de prendre conscience de votre individualité. Celle-ci n’est ni bonne ni mauvaise. Elle n’est pas non plus figée indéfiniment. En prendre conscience est nécessaire, l’accepter est salutaire. Le combattre est épuisant et délétère.
Et vous, plutôt introverti ou extraverti ?
Au début du XXème siècle, Carl Jung propose une typologie des personnalités humaines encore largement utilisée aujourd’hui, notamment dans un contexte professionnel. Il distingue d’abord quatre fonctions basiques que chaque personne développe plus ou moins : penser, sentir, pressentir et percevoir. Chacune de ces fonctions est soit dominante, soit auxiliaire, soit tertiaire, soit inférieure. A ceci s’ajoute la tendance de la personne à être plutôt extravertie ou introvertie. Au final Jung distingue huit types de personnalités. Tentons un résumé très sommaire :
- Réfléchi Extraverti : a besoin d’action, de projets. Logique et structuré.
- Réfléchi Introverti : a besoin d’idées cohérentes, d’organisation. Analyste.
- Sentimental Extraverti : a besoin de communication et de valeurs relationnelles.
- Sentimental Introverti : a besoin de donner du sens à son ressenti. Solitaire.
- Perceptif Extraverti : a besoin d’agir sur le monde physique. Importance de « ce qui se sent ».
- Perceptif Introverti : a besoin d’expériences sensorielles individuelles.
- Intuitif Extraverti : a besoin de repousser les limites du monde physique.
- Intuitif Intraverti : a besoin de faire évoluer son monde intérieur.
Vous retrouvez-vous dans l’une de ses personnalités ? S’il est parfois difficile de se projeter précisément, peut-être pouvez-vous définir si vous êtes plutôt introverti.e ou extraverti.e !
PERSONNALITÉ INTROVERTIE | PERSONNALITÉ EXTRAVERTIE |
Préfère la solitude pour se ressourcer | Préfère les situations sociales pour s’épanouir |
Réfléchit avant d’agir | Agit pendant qu’elle réfléchit |
Peut sembler timide, réservée ou hautaine | Peut sembler irréfléchie, distraite |
Recherche la satisfaction intérieure | Recherche le dépassement de soi |
Généralement tissu social restreint | Généralement tissu social riche et étendu |
Lister vos traits de personnalité
Un exercice intéressant pour apprendre à se connaitre soi-même consiste à lister des traits de personnalité que l’on pense nous correspondre. Sans jugement ni réflexion poussée, laissez les mots venir et votre main écrire !
Cela vous semble difficile ? Voici trois astuces pour vous guider :
- Repensez à ce que vous avez entendu dire de vous : vos parents, vos amis, vos professeurs… Vous trouvaient-ils enthousiaste ou réservé ? Trop bavard ou trop discret ? Maladroit ou minutieux ? Et si vous avez vécu ces commentaires comme injustes ou infondés, c’est encore mieux ! En effet, en vous opposant à la définition que l’on a voulu faire de vous, vous assumez et précisez votre propre personnalité !
- Demandez à un proche de vous décrire : vous pouvez lui demander franchement de lister cinq de vos qualités et cinq de vos défauts, comme vous le feriez pour un entretien d’embauche. Mais vous pouvez également contourner le problème en lui demandant pourquoi il vous apprécie ou ce qu’il a retenu de votre dernière sortie ensemble.
Exemple : « Oh oui, tu te rappelles quand on est tombé en panne et que tu as refusé d’appeler le dépanneur pendant 20 minutes parce que tu pensais réussir à changer le pneu seul.e ? ». Cette simple anecdote regorge d’informations ! Elle indique que vous êtes sûr.e de vous, que vous osez vous assumer face à une opinion contraire à la vôtre et que vous prenez les choses en main lors de situations anxiogènes. Ah, cela indique aussi que vous êtes peut-être un peu obstiné.e…
- Inspirez vous des adjectifs que vous utiliseriez pour décrire quelqu’un d’autre. Puisque vous n’arrivez pas à avoir assez de recul ou d’objectivité pour parler de vous, commencez par parler d’un proche. Ensuite, reprenez la liste et adaptez-la !
Exemple : « Z. est franche, drôle et cultivée. Et moi ? Oui, je suis également franche, mais probablement bien moins drôle qu’elle vu que je n’ose pas m’exprimer en public. Je pense être assez cultivée mais je déteste lire. Je préfère aller au cinéma voir les derniers films sortis. » Résultat : l’honnêteté, la timidité et la curiosité sont trois traits de ma personnalité.
Définir vos points forts et vos points faibles
Une fois que vous avez établi une liste la plus exhaustive possible de ce qui vous définit, essayez de cibler les adjectifs qui vous représentent le plus, qu’ils soient positifs ou négatifs. Listez 5 à 10 traits qui vous semblent le plus proche de ce que vous êtes au quotidien afin de cibler vos forces. Une fois cette liste établie, trouvez un exemple de situation vécue pour chaque point.
Exemple : Je suis fiable = Je tiens toujours mes engagements en temps et en heure et, en cas d’empêchement, je m’assure de prévenir le plus tôt possible et de trouver quelqu’un de compétent pour me remplacer.
Trois traits de personnalité courant et parfois gênants chez les cavaliers – le perfectionnisme : si rechercher la perfection peut être positif en amenant le dépassement de soi et la progression technique, cela peut également entraîner une profonde insatisfaction en « coupant les ailes » de celui qui privilégie alors « ne rien faire » à « mal faire ». – la culpabilité : émotion épuisante pour celui qui est convaincu de mal agir par rapport à son système de pensées et de croyances. Elle empêche souvent d’isoler les véritables causes de blocages équestres auquel l’individu est confronté. – le manque de confiance en soi : enfonçant ses racines dans un terreau d’estime de soi bafouée, de complexes et de peur, le manque de confiance en soi pousse à rechercher ce qui sécurise, à refuser les défis et à stagner dans une zone de confort sclérosante. |
3. Les différents types d’intelligence
Bien qu’il ne s’agisse là encore non pas d’une vérité universelle mais bien d’un outil intéressant afin d’apprendre à se connaître et à s’apprécier, penchons-nous un instant sur la théorie des intelligences multiples d’Howard Gardner. Au nombre de sept lors de la sortie de son livre en 1997, elles s’enrichissent peu à peu et seraient aujourd’hui au nombre de neuf. Les voici :
- L’intelligence linguistique : celle des poètes et des écrivains, et plus globalement de ceux qui aiment les mots, la lecture, l’écriture.
- L’intelligence musicale : celle des musiciens, de ceux qui perçoivent et apprécient les sons, les rythmes, les mélodies sous toutes leurs formes.
- L’intelligence logico-mathématique : celle des scientifiques et des analystes, de ceux qui apprécient le raisonnement et la logique. Accessoirement, celle qui est évaluée par les tests de QI traditionnels.
- L’intelligence spatiale : celle des architectes, de ceux capables de visualiser et de se représenter dans l’espace.
- L’intelligence kinesthésique : celle des sportifs, de ceux qui maîtrisent la coordination entre leur cerveau et leur corps.
- L’intelligence intrapersonnelle : celle des penseurs, de ceux qui ont des tendances à l’introspection, à la conscience de soi.
- L’intelligence interpersonnelle : celle des orateurs, de ceux qui savent communiquer avec les autres et transmettre des messages.
- L’intelligence naturaliste : celle des naturalistes, bien sûr, de ceux qui ont une sensibilité marquée pour la nature et sa préservation.
- L’intelligence existentielle : celle des philosophes, de ceux qui réfléchissent aux grands phénomènes spirituels et remettent en question les grands principes de l’existence.
Lorsque vous tentez de définir votre personnalité ou votre type d’intelligence, il est primordial de garder en tête que rien n’est figé. Il est important de s’observer régulièrement et d’accepter que l’on est en perpétuel mouvement, que l’on influence et que l’on est influencé en permanence par ce qui nous entoure. Par exemple, votre intelligence pouvait être plus kinesthésique à l’adolescence, alors que vous dansiez 8h par semaine, et peut-être vous retrouvez-vous aujourd’hui plutôt dans un profil d’intelligence linguistique.
Votre intelligence n’est pas une fatalité. Vous avez des facilités, des domaines qui vous attirent mais vous pouvez également, si et seulement si vous le désirez, travailler sur les autres types d’intelligence pour développer les facultés moins présentes dans votre profil.
L’humain fluctue dans un « bouquet » de tendances et de points forts. Connaître son type d’intelligence permet de connaître ses forces, de prendre confiance en soi, de s’assurer et de s’assumer. En aucun cas les méthodes proposées ci-dessus ne doivent vous donner l’impression de vous enfermer dans une case ! Bien au contraire : chercher à vous définir de manière trop fermée peut être un moyen de vous éviter l’introspection, de vous éviter d’évoluer et de vous remettre en question…

4. Prendre soin de soi
Ce que nous aimons, ce que nous percevons, ce que nous comprenons du monde et des autres diffère d’une personne à l’autre et dépend d’une multitude de facteurs. Pour prendre soin de vous, vous devez donc d’abord comprendre qui vous êtes !
Non, vous lever à 5h du matin pour pratiquer 1h de yoga n’est pas forcément ce qui vous convient. Dormir 12h non plus. Peut-être que lorsque vous traversez une période difficile, vous avez besoin d’appeler un ami pendant des heures. Ou peut-être que vous préférez prendre un bain, crier dans un coussin ou pleurer dans les bras de votre conjoint.e. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise réponse. Il n’y a que des individus et des sensibilités.
Afin de prendre soin de soi, il convient d’oser s’estimer soi-même. De prendre conscience et d’accepter que nos envies, nos aspirations et nos opinions valent autant que celles des autres. Nous avons vu qu’en amitié, il est primordial d’être à l’écoute de l’autre, de respecter ses besoins et les messages qu’il a à transmettre. Mais si nous ne respectons pas ce dont nous avons besoin, si nous ne savons pas décoder notre personnalité et ce qui nous fait du bien, comment pourrons-nous le transférer à nos interactions avec notre cheval ?
En Discipline Positive, il est conseillé de dessiner un vase et d’y inscrire tout ce qui nous fait du bien : lire un livre, prendre un bain, s’isoler, chanter, respirer, voir du monde, rester seul… voir votre cheval ! Ne vous imposez pas de limite : écrivez, raturez, recommencez. Une fois rempli, ce vase peut être affiché à la vue de toutes les personnes de votre foyer (si, par exemple, vous savez que vous avez tendance à ne pas vous écouter et que vous pensez que vos proches peuvent vous aider à prendre du temps pour vous) ou être gardé dans un emplacement secret. Le but n’est pas de puiser dans le vase tous les jours, mais de mettre en place des solutions pour arrêter de regarder le temps passer et s’obliger à se faire du bien. Vous n’avez qu’un seul corps, qu’une seule vie. Si vous voulez devenir un ami fiable et agréable pour votre cheval, commencez par vous comportez comme un ami pour vous-même !
En comprenant qui vous êtes, vous vous offrez un présent inestimable : celui d’arrêter de perdre du temps et de l’énergie à poursuivre des objectifs qui ne sont pas les vôtres. Bien sûr, les compromis et les mauvais moments sont inévitables, mais avec en tête un plan limpide, motivant, propre, vous passerez du rêve un peu flou au but réalisable.
Mais un rêve, ça ne se réalise pas tout seul alors place à la projection et à la planification !
EXERCICE – MODULE 2 CHAPITRE 2
1. Tenez un journal – pendant deux semaines (et plus si vous le désirez), prenez le temps chaque jour d’écrire quelque chose sur vous. Selon vos envies, vos disponibilités et votre inspiration, il peut s’agir de quelques phrases ou simplement de trois mots qui vous définissent ce jour-là. L’important est de prendre quelques minutes au minimum pour ne penser qu’à vous, de la manière la plus objective possible.
2. Dessinez votre vase – sur une feuille blanche, tracez la silhouette d’un vase qui occupe tout l’espace disponible. En utilisant des feutres de couleur, des post-it, des schémas, une légende chiffrée… remplissez le vase avec tout ce que vous aimez, tout ce qui vous fait du bien, que ce soit au quotidien ou de manière exceptionnelle.
3. « Si j’étais milliardaire » – et si vous preniez un instant pour lier l’utile à l’improbable ? Imaginez que vous vous retrouvez subitement à la tête d’une fortune colossale. Vous avez le droit de changer trois choses dans votre vie : quelles sont-elles ? quels sont les paramètres de votre vie que vous aimeriez modifier ? Logement/lieu de vie, confort matériel, confort intellectuel, échanges avec vos proches ou de parfaits inconnus, contribution à de grands projets associatifs… Vos réponses devraient vous donner des pistes intéressantes sur ce que vous désirez vraiment… et sur ce que vous pensez que vous devriez désirer !
