Introduction
Conclusion

Chapitre 1 – Observer son cheval dans un environnement humain

1. Pourquoi êtes-vous là ?

Que votre cheval soit hébergé dans un pré de plusieurs dizaines d’hectares ou qu’il vive en box, qu’il évolue au sein d’un groupe social stable ou qu’il n’ait pas de contact direct avec un congénère, il est dans tous les cas intégré dans un environnement humain.

Nous l’avons vu, cette vie domestique a influencé l’espèce équine et nos chevaux actuels sont issus de générations d’individus qui ont été sélectionnés par l’Homme. Au cours de ces siècles de cohabitation, le cheval a développé certains comportements, certaines aptitudes lui permettant de comprendre et de communiquer facilement avec les êtres humains. Il a également mis en place des stratégies pour évoluer dans notre monde, ses capacités cognitives se sont spécialisées pour cette vie en captivité et son métabolisme également (bien que pas à 100%, et nous avons évoqué certaines conséquences de ce décalage) s’est adapté à une existence à l’écart des prédateurs ou des catastrophes naturelles majeures.

Mais définir la relation Homme-Cheval comme une somme d’interactions influencées par toute une série de modifications physiologiques ou comportementales semble bien réducteur. Nous avons vu comment être un humain centré, agréable et rassurant. Nous avons listé les qualités nécessaires à une relation sereine et à une communication efficace. Nous avons évoqué les besoins du cheval, ses comportements, ses signaux de communication. Vous avez donc en théorie toutes les clefs pour devenir le meilleur ami de votre cheval ! Il ne reste plus qu’à mélanger toutes ces informations, à les mobiliser, à leur donner forme et à les mettre en application. Sauf que… à ce niveau de la formation, si vous avez effectivement une importante série de clefs à utiliser, il vous manque la serrure correspondante ! Et la voici :

Pourquoi avez-vous commencé à vous intéresser aux chevaux ? Pourquoi avez-vous décidé un jour de vous mettre en selle, de glisser votre main sous une crinière ou d’observer des chevaux qui somnolaient au box ? Pourquoi avez-vous validé votre inscription dans un centre équestre ? Pourquoi avez-vous signé ce contrat de vente et lié votre avenir à celui d’un animal si différent de vous ? Pourquoi ? Quelle est la raison profonde qui vous a poussé vers le monde du cheval ?

La relation Homme-Cheval est unique. Monter à cheval demande une certaine forme de courage et d’abnégation lors des premières séances. Vaincre la peur de la chute, la difficulté de trouver son équilibre, la gêne – voire les douleurs ! – des premières heures en selle, pourrait sembler inconcevable. Dans notre société actuelle, quel est l’intérêt de monter à cheval ? Nous avons des véhicules, des outils, des machines, nous sommes assistés en permanence dans notre quotidien et, que nous soyons consommateurs ou producteurs, le cheval n’a plus la place prépondérante qu’il occupait autrefois dans notre système économique. Alors pourquoi ? Pourquoi dépenser du temps, de l’argent et de l’énergie à créer un lien avec un animal captif, dont les besoins sont bien éloignés de la vie domestique, et qui peut se révéler dangereux, complexe à comprendre et difficile à faire progresser ?

Peut-être simplement parce que nous avons besoin de lui. Plus pour partir à la guerre, labourer nos champs ou nous transporter sur les routes. Mais pour nous reconnecter à ce qui importe, à la part de « vrai », à la part de Nature dont notre évolution humaine tend à nous couper et à nous éloigner.

Entrer dans le monde du cheval, c’est faire face à nos émotions, à nos faiblesses. C’est apprendre à communiquer, à regarder l’autre réellement, face à face. C’est gagner en responsabilité, en remises en questions aussi.

Entrer dans le monde du cheval, c’est grandir, rêver, se donner des objectifs, espérer les atteindre ensemble. Quels que soient notre âge, nos envies, notre niveau.

Entrer dans le monde du cheval, c’est changer de rythme. On peut bien sûr tenter de lui imposer le nôtre, mais si l’on est honnête et observateur, on s’apercevra rapidement que le cheval n’évolue pas à son plein potentiel, que sa santé physique et mentale n’est pas respectée, que son unicité n’est pas prise en compte. 

Alors pourquoi entrons-nous en contact avec les chevaux ? Pour vivre. Pour être.

Et pour passer du « contact » au « lien », c’est à nous de nous adapter…

 

2. Comment ne rien faire en posant les bonnes questions ?

Parce que leur rythme est très différent du nôtre, parce que nos objectifs techniques n’ont pas de sens pour eux à première vue, il est important de s’habituer à mettre en place des « non-exercices ». L’objectif n’est pas de renier les séances en carrière, ni d’abandonner toute idée d’évolution ou de progrès précis, mais simplement de rajouter à votre agenda des moments où vous allez ne « rien faire »… mais le faire bien !

On entend souvent qu’il est salutaire d’aller voir son cheval « pour rien », de lui rendre visite sans rien attendre, sans planning ni objectifs techniques. Certes, mais comment ne « rien faire » concrètement ? Faut-il rester au bord du pré ? dans sa voiture ? Distribuer à manger ou non ? Voici des réponses !

Vous pouvez soit décider d’intercaler ces « non-exercices » au sein de vos séances de travail, entre deux exercices exigeants par exemple, soit les mettre en place lors d’observations neutres pendant des moments de repos, votre cheval étant alors libre d’agir et de se déplacer (au pré dans l’idéal).

 

Au repos

Assurez-vous avant toute chose de ne pas déranger le rythme du groupe. Si votre cheval est hébergé avec des congénères, vous ne pouvez pas ignorer leur comportement : il est possible que votre arrivée perturbe le groupe, que des chevaux (y compris le vôtre !) viennent vers vous, qu’ils cherchent le contact… ou les friandises ! Là encore, soyez clair : venez-vous leur jeter des carottes avant de repartir suivre le cours de votre journée ? ou êtes-vous présent.e pour observer, apprendre et vous enrichir de cet instant ? Si vous êtes dans le deuxième cas, faites en sorte d’influencer les animaux le moins possible. Arrêtez vos pieds avant de susciter un déplacement. Peut-être que cela impliquera de rester à cinquante mètre du pré : soit !

Si vos infrastructures ne vous permettent pas d’observer à distance, trouvez un emplacement vous permettant d’éviter les contacts tactiles (les chevaux ne doivent pas pouvoir vous toucher), installez-vous et attendez. Évitez de leur parler, de les solliciter par votre attention ou vos sourires : à partir du moment où vous décidez d’observer votre cheval et de glâner des informations objectives sur lui, vous devez jouer le jeu !

Tant que les chevaux sont focalisés sur vous, de nombreuses observations vous sont impossibles (par exemple, inutile de démarrer le chronomètre pour évaluer le budget-temps ! – sur ce sujet, si besoin, référez-vous au Module 3). Par contre, vous pouvez en profiter pour exercer votre œil à :

  • Distinguer dominance et leadership (idem – voir Module 3, Chapitre 3) : regardez comment bouge votre cheval. Prend-il l’initiative de son déplacement ? Un congénère le pousse-t-il à se mettre en mouvement ? Quelle raison semble à l’origine du déplacement (votre présence ? de la nourriture ? un congénère ? un manque de place ? un départ vers le point d’eau ? …)
  • Identifier les indicateurs de gênes / mal-être : votre cheval semble-t-il parfois agacé ? Mal à l’aise ? Quels éléments de sa posture vous amènent à cette conclusion (oreilles, queue, naseaux, menaces dents/pieds, tension musculaire…) ?
  • Définir ses partenaires préférentiels : en milieu non-captif, on identifie le congénère préféré d’un individu parce qu’il est celui auprès duquel il passe le plus de temps. Qui est le meilleur ami de votre cheval ? Semble-t-il très lié à un individu ? ou à plusieurs ?

 

Au travail

Il est également judicieux d’intercaler des instants de « rien » dans vos séances de travail, que vous soyez en carrière ou en extérieur. Bien sûr, l’arrêt est extrêmement important et doit être proposé régulièrement pendant vos séances. Mais imposez-vous maintenant, de temps en temps, de faire quelque chose de cette immobilité. Avant tout, comme lorsque vous faites une observation au pré, assurez-vous de ne pas influencer les réponses. Prenez le temps de vous observer : êtes-vous neutre, relâché.e ? ou êtes-vous tendu.e, focalisé.e avec tout votre corps vers votre cheval ?

Petite astuce : si vous êtes trop présent.e, déconnectez-vous ! Chantez-vous une chanson dans votre tête, comptez les nuages, récitez l’alphabet… Trouvez une occupation simple mais vous demandant un minimum de concentration pour être sûr.e de ne pas exercer de pression sur votre cheval. Une fois votre attitude allégée, vous pouvez commencer à « ne rien faire de manière active». Et cela est valable autant au sol que sous la selle ! Pendant ces « non-exercices », vous pouvez :

  • Estimer le temps nécessaire à votre cheval pour se décontracter : à partir du moment où vous proposez un arrêt de repos, combien de temps votre cheval met-il à se détendre ? Reste-t-il fixé sur vous, vigilant, pendant de longues minutes, alors que vous avez veillé à vous déconnecter ? Ou commence-t-il à bailler, à baisser la tête, à respirer lentement, à observer l’environnement… dès que vous devenez neutre ? Cette transition émotionnelle peut être longue à obtenir au début, et c’est normal !
  • Observer ce qui l’intrigue : quand on lui offre un arrêt, votre cheval en profite-t-il immédiatement pour regarder un point précis (coin du manège, bâche qui bouge…) ou oriente-t-il son encolure calmement, de droite à gauche, pour surveiller ce qui l’entoure ? A-t-il plutôt tendance à fixer ses congénères ? un objet ? un lieu ?

Ces quelques observations vous permettront de récolter de précieuses informations sur votre cheval, sur ses blocages potentiels et les points sur lesquels vous pouvez travailler ensemble.

IMPORTANT 
Votre cheval sait que vous êtes là ! Rappelez-vous du Module précédent sur l’éthologie équine : il voit, entend et perçoit beaucoup mieux de vous. N’essayez pas de vous cacher ! Mais soyez neutre, confortable… et congruent.
Il doit savoir dès votre arrivée si vous pensez l’observer de loin ou venir le voir : votre attitude et votre posture doivent être différente. Soyez clair avant même de vous mettre à marcher vers l’écurie : voulez-vous créer un contact tactile afin de, peut-être, enchaîner sur une séance ? Ou voulez-vous rester à distance pour l’observer sans le déranger ? Les deux options sont acceptables, mais n’oubliez pas d’être clair.e dans votre intention, dans votre respiration, dans votre sourire quand votre cheval va tourner la tête vers vous. Il doit pouvoir comprendre ce que vous venez faire. Imaginez croiser quelqu’un que vous connaissez dans la rue : il marche sur le trottoir d’en face, vous sourit, lève la main pour vous saluer, commence à traverser la rue et fait demi-tour. Déroutant, non ? Ou pire : il vous regarde, tourne la tête à l’opposé, marmonne, ne répond pas à votre salut et quelques minutes plus tard, il vous rejoint en courant derrière vous et vous demande, enjoué, si vous allez bien. Perturbant, déstabilisant… pas l’idéal pour créer une relation stable et confortable, n’est-ce pas ?

 

A distance

Que vous soyez tranquillement chez vous ou à proximité de votre cheval, vous pouvez également vous interroger sur un autre type de questions : ses préférences.

En vous remémorant vos expériences passées, essayez d’identifier sa discipline préférée, son attitude en carrière ou en extérieur, son comportement en présence d’humains (familiers et non familiers). Quels sont ses traits de caractère ? Qu’est ce qui le caractérise lui, le distingue des autres chevaux de l’écurie ?

Pas de jugements, pas de regrets, pas de comparaisons : cherchez juste à comprendre qui est votre cheval, comme vous avez cherché qui vous étiez au Module 2 ! Parce qu’on ne peut pas évoluer et avancer si on ne sait pas d’où on part, il est important d’établir un bilan de vos individualités pour avoir une fondation saine sur laquelle bâtir la suite.

 

EXERCICE – MODULE 4 – CHAPITRE 1

[Ces deux exercices viennent se rajouter à ceux proposés au cours de ce chapitre]

1. Retrouvez l’émotion de vos débuts : si cela vous aide, faites cet exercice en présence de votre cheval, sinon vous pouvez également le faire depuis chez vous.

Fermez les yeux, ancrez-vous, apaisez-vous (vous pouvez également méditer quelques instants ou consacrer quelques minutes à de la cohérence cardiaque – si besoin, référez-vous au Module 2). Repensez à vos premières fois agréables* aux contact des chevaux : première visite au Poney Club, premier contact visuel dans un champ, première fois en selle… Et ressentez. Quelles émotions ce jour-là ? Etiez-vous impatient.e ? Heureux.se ? Scannez votre corps pour retrouver ces émotions positives : ventre, bras, dos, nuque, gorge… Poils qui se hérissent, sensation de chaleur, d’excitation : sentez-vous ce qu’il se passe physiquement ?

2. Acceptez et codifiez ces sensations : une fois les émotions ciblées, imaginez que vous voulez les « entourer », les « capturer » en décrivant le plus précisément possible le contexte dans lequel vous les avez vécues. Puis définissez une image ou un mot-clef que vous associez à chaque émotion pour pouvoir la rappeler à volonté. Cela vous sera d’une aide précieuse les jours difficiles, quand vous arriverez près de votre cheval dans un état émotionnel négatif. Vous pourrez alors utiliser ce code et vous replonger quelques secondes dans cette émotion positive avant de vous connecter au moment présent et à votre partenaire équin !

Exemple : « Je me souviens de ma première visite au Centre équestre, j’étais tellement heureuse, mon ventre papillonnait, je me sentais légère et invincible. Ce jour-là, je suis montée sur un poney pour la première fois, il s’appelait Yakari. Je me souviens de l’odeur de la selle, de la couleur de sa robe, du visage du moniteur… » Je prends le temps de ressentir cette joie, cette impatience et j’associe à ces images le mot « Yakari », que je répète doucement et à plusieurs reprises en me déroulant le film dans ma tête. Quand j’en aurai besoin, je pourrai utiliser ce mot pour m’apaiser et retrouver le « pourquoi » de ma présence auprès des chevaux. *si votre première expérience avec les chevaux a été négative, et qu’elle qu’en soit la raison, ne la prenez pas comme référence. Il est important de trouver et de mémoriser un souvenir agréable.