Chapitre 1 – La « zone de confort »
1. Les avantages de la zone de confort
Depuis quelques années, l’expression « zone de confort » apparaît dans de nombreux textes sur le développement personnel, le dépassement de soi ou la recherche du bonheur. Correspondant à un état psychologique « neutre », dans lequel l’individu ne ressent pas de niveau de stress délétère et évolue dans une routine connue et rassurante, la zone de confort est souvent décrite comme une limite à franchir, un défi à relever au quotidien voire un état à fuir pour pouvoir progresser. Pourtant, connaître et préserver sa zone de confort apporte quelques avantages…
- Pour l’humain
Pour un être humain, rester dans sa zone de confort permet d’éviter d’avoir peur, de sentir jugé ou de perdre ses acquis. Comme son nom l’indique, elle est confortable, protège du stress et des remises en question. On y crée des automatismes, des comportements évidents qui ne nous demandent pas d’efforts ou de souffrance.
Tous les jours, vous exécutez des tâches habituelles, routinières. En famille ou au travail, à votre domicile ou dans votre véhicule, vous agissez, pensez, répondez en mettant en œuvre tout un système de croyances, d’habitudes et d’aptitudes que vous utilisez depuis des années sans même en avoir conscience.
Votre zone de confort correspond à vos fondations, à la base sur laquelle vous appuyer pour prendre votre élan. Il est important de connaître ces habitudes qui vous rassurent, ces réflexes que vous avez mis en place, ces préférences vers lesquelles vous vous tournez spontanément. Pour en prendre conscience, essayez de visualiser la « bulle » dans laquelle vous vous sentez bien, dans laquelle il ne vous est pas nécessaire de lutter pour être reconnu, compris ou soutenu.
- Pour le cheval
Votre cheval évolue également dans une zone de confort qui lui est propre. A partir du moment où il vit dans un lieu connu, noue des contacts sociaux stables et ne subit pas de stimuli anxiogènes, il met en place un quotidien qui lui permet d’économiser son énergie physique et mentale. Dans cet état de routines, il n’a pas à s’adapter sans cesse, à réfléchir aux solutions à apporter, à se fatiguer « pour rien ».
En milieu non-captif, la plus grande partie de l’existence du cheval se situe au sein de sa zone de confort : domaine vital connu et maitrisé, relations sociales durables, ressources alimentaires maîtrisées… Le quotidien est rythmé et rassurant, permettant de surveiller l’environnement et de préparer l’organisme à fuir si nécessaire. En revanche, les périodes sensibles comme le sevrage, la dispersion (voir Module 3) ou encore la saison de reproduction obligent le cheval à repousser ses limites : confronté à des situations ponctuelles, potentiellement stressantes, il doit trouver des stratégies, modifier ses réponses comportementales et progresser pour survivre. Un jeune qui quitte le groupe familial à l’âge de deux ou trois ans doit par exemple trouver de nouveaux repères sociaux, s’adapter aux tempéraments et aux habitudes de ses nouveaux congénères, parcourir des lieux potentiellement inconnus… Comme un humain confronté à une période de remises en questions et d’apprentissage, le jeune cheval se retrouve alors au-delà de la zone de confort qu’il avait jusque-là tellement intégrée… et au sein de laquelle il a développé la force et les capacités d’affronter ces difficultés.

2. Pourquoi en sortir ?
Mais alors, si l’on y est si bien, si tout y est si confortable et rassurant… pourquoi vouloir quitter notre zone de confort ? Pour une seule et unique raison : les choses n’évoluent pas toutes seules. Si vous voulez progresser, avancer, vous améliorer, quel que soit le domaine que vous souhaitez voir évoluer, il vous faut sortir de vos habitudes, affronter l’inconfortable (raisonnablement) et provoquer le changement.
Tous les progrès se trouvent hors de votre zone de confort.
Finalement, notre zone de confort n’est qu’une limite personnelle et subjective que l’on s’impose. Parce que l’on s’enlise dans notre quotidien, parce que l’on est freiné par nos croyances limitantes, notre peur d’être jugé ou de nous tromper, nous refusons de changer pour éviter de souffrir ou d’être frustré.
Or, pour nous comme pour le cheval, rester dans sa zone de confort empêche le progrès. Pour obtenir de vrais résultats, il est absolument nécessaire d’en sortir et de s’affranchir de la crainte permanente de ce qui nous attend au-delà. Pourquoi ?
- Sortir de sa zone de confort provoque un stress modéré qui amène une capacité de concentration et de mémorisation accrue.
- Sortir de sa zone de confort renouvèle l’enthousiasme, évite l’ennui et la baisse de motivation.
- Sortir de sa zone de confort permet de mettre en place des apprentissages, de repousser ses limites et d’augmenter la confiance en soi.
Si l’on se lance des défis régulièrement, que l’on se remet en question et que l’on ose affronter nos peurs pour réaliser nos rêves (si petits soient-ils !), notre zone de confort va peu à peu s’élargir, devenir plus élastique et plus malléable. Il devient donc de plus en plus facile (ou de moins en moins difficile) de se dépasser et de progresser. Dans le cadre de la relation Homme-Cheval, sortir de sa zone de confort permet de se lancer des défis techniques, de vaincre ses craintes et de renforcer le lien qui unit l’être humain et l’animal. En théorie…
Parce que pour le cheval, se lancer des défis techniques n’a évidemment pas le sens que nous lui donnons. La zone de confort du cheval est constituée de longues heures de calme consacrées à manger, boire, se reposer ou passer du temps à proximité de ses partenaires sociaux préférés. Apprécier de faire des cercles dans une carrière, de passer des heures à trotter en extérieur ou même de se laisser brosser par un être humain n’a rien d’inné : il s’agit d’apprentissages, d’associations qui peuvent prendre des années à se mettre en place correctement. Alors que le cavalier rêve à ses objectifs de dressage ou de saut d’obstacle, le cheval lui n’aspire initialement qu’à une chose : préserver son énergie, cumuler les interactions positives (intra- ou interspécifiques) et éviter de souffrir. Le fait même de le faire « travailler » constitue donc une sortie de sa zone de confort… jusqu’à ce que les séances en fassent partie intégrante.
Un cheval évoluant en milieu captif est amené à « challenger » sa zone de confort beaucoup plus régulièrement que ses cousins sauvages: vivre au contact des humains signifie s’habituer aux changements de lieu de vie, apprendre à être monté, à répondre aux aides, à entrer dans un van, à accueillir le vétérinaire, à côtoyer des véhicules, à être touché, poussé, caressé. Dès sa naissance, le cheval domestique doit s’adapter en permanence à un environnement changeant et riche en stimuli.
Pourtant, de nombreux chevaux, une fois les premières années de leur vie écoulées, s’installent dans une zone de confort bien similaire à celle de nombreux humains. Routines de nourrissage, aller-retours au pré ou dans l’écurie, jour (voire heure !) de séances en carrière : tout est réglé, rythmé et répété, mois après mois, année après année. Et quand subitement l’humain, qui a pris la décision de réaliser son rêve équestre avant l’été, décide de bouleverser l’emploi du temps si rassurant du cheval, celui-ci peut se révéler fort peu coopératif…
S’il n’est pas habitué à rencontrer des difficultés régulièrement, à être contraint ou poussé hors de son confort physiquement et mentalement, les réactions de votre cheval peuvent être compliquées à assumer le jour où la vie lui présente une épreuve… si insignifiante que celle-ci vous paraisse !
Un exemple parlant est celui du débourrage. De nombreuses défenses (et accidents) viennent du fait que le cheval n’est pas prêt à accepter la contrainte. Après des mois laissé au parc, ou travaillé uniquement dans sa zone de confort pour ne pas le brusquer, il se retrouve subitement face à une situation qu’il ne comprend pas. Imaginez (et le cas est fréquent), un jeune cheval manipulé régulièrement mais jamais attaché (« pour ne pas qu’il tire au renard »), promené en main en extérieur mais libre de s’arrêter ou de brouter quand il le désire (« pour qu’il apprécie le moment »), amené en carrière mais seulement en liberté et pour se rouler (« pour qu’il associe l’endroit à du positif »). Comment risque-t-il de réagir le jour où les règles changent ? Le jour où l’humain lui demande de fixer ses pieds, d’avancer à un certain rythme, de respecter une certaine distance ?
Un parallèle peut être fait avec les jeunes humains : un enfant ayant vécu sans chaussures les trois premières années de sa vie, habitué à manger à toute heure de la journée en fonction de sa faim, à se lever, à courir et à sauter au milieu des adultes sans aucune consigne et qui se retrouverait propulsé à l’école sans aucune préparation, du jour au lendemain, obligé de porter un sac, de couvrir ses pieds, d’aller à la cantine à midi, de se taire ou de rester assis à la demande, comment le vivra-t-il ? Bien sûr, son éducation de base n’était pas forcément mauvaise en tant que telle. Et les règles imposées par l’école ne sont pas forcément maltraitantes non plus. Mais le fossé entre ces deux univers peut créer un véritable mal-être, des comportements indésirables… et une certaine rancœur tenace envers la scolarité dans son ensemble.
Préparer son partenaire équin à sa vie de cheval domestique est un devoir. Vous pouvez décider de ne jamais le monter. Vous avez le droit de ne pas avoir d’objectifs techniques poussés. Vous pouvez même prendre la responsabilité de ne pas lui apprendre à monter dans un van parce que vous assumez le fait de ne pas le transporter, même en cas de souci vétérinaire. Mais dans tous les cas, quels que soient votre niveau et vos envies, pour des raisons de sécurité et de communication, vous devez lui apprendre à comprendre le monde qui l’entoure et à supporter de sortir de sa zone de confort. Heureusement, cela s’apprend et absolument tous les chevaux en sont capables !

3. Comment sortir de sa zone de confort ?
Pour l’humain, sortir de sa zone de confort peut se faire en trois étapes successives. Si votre objectif est d’aller plus loin dans votre complicité avec votre cheval, d’affiner votre communication et de renforcer vos acquis, vous pouvez :
- Déterminer vos automatismes : prenez quelques jours pour lister ce qui constitue votre zone de confort. Peut-être qu’il s’agit de la zone que vous privilégiez pour éviter les écarts dans le fond de la carrière, des chemins de balade que vous empruntez depuis des années pour ne pas vous perdre, des exercices que vous répétez toujours dans le même ordre comme un enseignant vous l’avait indiqué il y a si longtemps…
- Cibler vos peurs (et non vos envies !) : de quoi avez-vous peur ? quelles sont les croyances limitantes qui vous empêchent d’avancer ? Par exemple, vous pensez-vous incapable de réaliser un changement de pied ? Pensez-vous que les cavaliers de concours sont tous ignorants du bien-être équin ? Avez-vous peur de tomber si vous rallongez votre sortie de deux kilomètres ? Êtes-vous convaincu.e que les chevaux « proches du sang » sont plus dangereux que les autres ? Essayez de noter toutes ces pensées automatiques qui teintent vos actions et vous bloquent dans vos progrès. Et rassurez-vous : nous en avons tous !
- Vous lancer des défis réalisables régulièrement : une fois vos peurs mises en relief, déterminez des défis destinés à les faire exploser. Mais attention : soyez progressif.ve ! L’objectif n’est pas de vous décourager ou de vous braquer. Si par exemple vous avez peur de longues sorties montées en extérieur, commencez par sortir votre cheval en main, ou par vous faire accompagner par un autre cavalier. Si vous craignez le regard des autres, commencez par vous filmer seul.e (en posant votre smartphone dans un coin de la carrière par exemple) puis par montrer ce film à un proche ou à votre coach, pas en vous inscrivant au prochain concours de jeunes talents de votre région ! L’objectif est d’assouplir votre zone de confort, de lui permettre de croître sans se briser.
En revanche, sortir le cheval de sa zone de confort est moins évident… Vous pouvez suivre exactement les trois mêmes étapes (déterminer les automatismes / cibler les peurs / lancer des défis raisonnables) mais il est important de respecter des étapes très progressives, de suivre et d’accepter sa sensibilité, d’accompagner ses essais sans le braquer. Se challenger soi-même est une chose, forcer un autre individu à se dépasser contre son gré en est une autre ! Donc oui, le cheval aussi gagne à repousser ses limites mais il faut néanmoins être sûr de la faire correctement, de ne pas le bloquer ni de lui faire peur… Pour cela, il est primordial de rester à son écoute et d’observer sa posture et son comportement.
Imaginons que votre cheval soit très réactif et dynamique. Vous aimeriez lui apprendre à apprécier l’arrêt et vous rêvez de balades au pas rênes longues alors que lui ne vous propose que des séances stressantes pendant lesquelles vous ne faites que (tenter de) le freiner. Vous avez peur de ses réactions, êtes persuadé.e que c’est son tempérament et qu’il est impossible de le calmer. Cette pensée vous limite, vous fait adopter une posture qui, effectivement, pousse le cheval à se mettre en mouvement, à se défendre et à accélérer pour fuir une séance inconfortable. Le cercle vicieux est enclenché et, pour peu que cela dure depuis longtemps, ces habitudes sont devenues des réflexes. Pour obtenir vos balades rênes longues, il va donc falloir l’amener à sortir de sa zone de confort qui, bien que liée à une multitude de facteurs inconfortables, est devenue sa référence. Au début, il faudra peut-être lui apprendre à marcher en main sans aucune tension sur la longe. Puis à s’arrêter deux secondes d’affilée. Puis à accepter de rester arrêté sans aucun contact sur les rênes. Tout cela en surveillant son attitude pour le récompenser et le réconforter avant qu’il ne franchisse la ligne rouge, qu’il ne passe le seuil homéostasique au-delà duquel l’émotion prend le dessus et l’apprentissage est impossible. C’est un travail de longue haleine, qui peut nécessiter de nombreuses étapes successives (et, souvent, de retours en arrière pour solidifier des bases instables) mais qui, au final, aura fait progresser ce cheval (et son humain.e) tant techniquement qu’émotionnellement.

ATTENTION |
EXERCICE – MODULE 6 – CHAPITRE 1
Déterminez votre « zone de confort équestre » : quelles sont les habitudes qui vous rassurent ? Les exercices, les disciplines, les rituels que vous avez adoptés depuis des années ? Par exemple : est-ce que vous sellez toujours au même endroit, empruntez toujours les mêmes chemins de balades, échauffez votre cheval avec les mêmes exercices, proposés dans le même ordre ?
2. Quelles sont vos peurs ? Quelles sont les choses inconfortables que vous savez nécessaires à votre progression mais que vous repoussez sans cesse par crainte de l’échec, de l’inconfort, du jugement ? Il peut s’agir d’un exercice, d’une situation, d’un cheval qui vous impressionne…
3. Déterminez des étapes vous permettant de défier ces peurs. N’oubliez pas : l’important est de vous dépasser, pas de vous paralyser d’angoisse ! Essayez de vous fixer des étapes progressives et régulières, par exemple une fois par semaine. L’idéal est de le noter (sur votre agenda, sur un carnet dédié, sur un post-it affiché en évidence…) pour vous engager vis-à-vis de vous-même à repousser vos limites et à avancer sur le chemin de votre progression !