Chapitre 1 – Qu’est-ce qu’une relation ?
1) Mise au point et définition
Qu’est-ce qu’une relation ?
Une relation se construit dans le temps et implique la mise en présence de deux individus minimum. Si vous ne pouvez pas dire que vous entretenez une relation avec le piéton auquel vous avez demandé votre chemin la semaine dernière, vous avez néanmoins lié un lien particulier avec le boulanger chez lequel vous vous rendez quotidiennement.
En effet, la relation se définit comme la somme des interactions, c’est-à-dire des instants où les individus ont été en présence. C’est la répétition de ces moments qui permettent la mise en place de la relation.
En écologie, il existe différents niveaux de relations, selon que celles-ci sont durables ou non, et selon qu’elles apportent un bénéfice ou un coût aux individus impliqués.
- Symbiose: l’un des deux partenaires retire un bénéfice de la relation, qui est indispensable à au moins un stade de sa vie (exemple des larves de pucerons élevées par des fourmis).
- Commensalisme: relation où le commensal est nourri par l’autre individu (exemple des chats harets restant à proximité des humains pour se nourrir).
- Parasitisme: relation sur le long terme, nécessaire à la survie du parasite mais néfaste, voire létale pour l’individu hôte (exemple des tiques sur les hérissons).
- Mutualisme: association facultative où les deux partenaires retirent des bénéfices (exemple de la relation entre l’anémone de mer et le poisson clown)
- Coopération: volonté commune d’agir dans le même but, impliquant des bénéfices mutuels (exemple des stratégies de chasse entre chimpanzés).
- Prédation et Compétition: de courte durée, il s’agit plutôt d’interactions que de relation à proprement parler. En effet, un lion ayant tué sa proie n’a plus d’interaction avec elle. Les situations de compétition autour d’une ressource limitée (nourriture, partenaire sexuel…) sont également brèves mais permettent aux individus impliqués de prévoir les interactions à venir, et participent donc à la mise en place d’une relation. Par exemple, un étalon sortant vaincu d’un conflit avec un autre mâle chef de famille adaptera son comportement en fonction de cette défaite. Il pourra par exemple ne jamais re-confronter cet adversaire, attendre de se sentir prêt ou guetter une faiblesse pour tenter sa chance à nouveau.
Dans le cas des relations Homme-Cheval, nous visons tous à la mise en place d’un mutualisme. Volontaire et bénéfique, ce type de relation améliore la vie des individus impliqués et leur procure du confort et des souvenirs agréables. Et au vu du paragraphe précédent, peut-être faudrait-il désormais ne plus souhaiter « galoper en symbiose avec sa monture »…
Afin de conclure ces quelques explications sur le concept de relation, il convient de distinguer les relations intraspécifiques (entre membres d’une même espèce, par exemple entre deux chiens… ou entre le boulanger et vous !) et les relations interspécifiques (entre individus d’espèces différentes, comme entre le pique-bœuf des savanes et le rhinocéros, ou entre un cheval et son cavalier).
Toute interaction implique de la communication
Toute relation se construit et se développe par l’intermédiaire de la communication, qui permet d’identifier les individus et leurs activités. La communication se définit comme le transfert d’un signal d’un individu à un autre.
La réception du signal émis par l’émetteur et sa compréhension par le récepteur influence le comportement de ce dernier. Chacun des individus impliqués dans une interaction est tour à tour émetteur et récepteur et émet des signaux de communication, de manière volontaire ou non, qui peuvent être de différents types :
- Olfactifs (chimiques) – bien que présente entre l’homme et le cheval, la communication olfactive est totalement involontaire. Difficile en effet de maîtriser l’impact de l’odeur de notre transpiration ou de modifications hormonales sur le comportement de notre compagnon équin !
- Auditifs (acoustiques) – chez l’être humain, les signaux acoustiques font partie des moyens de communication préférentiels, et sont donc particulièrement utilisés par les cavaliers voulant communiquer avec leur cheval. Pour indiquer, demander, récompenser, remercier, les mots (mais également les claquements de langue ou le simple bruit d’une expiration !) sont des indicateurs de choix. Certains animaux domestiqués ont également tendance à vocaliser plus que leurs cousins non-captifs. Chiens et chats comprennent ainsi très bien comment attirer notre attention en aboyant ou en miaulant… et les chevaux ne font pas exception ! Distribution de rations dans les écuries, arrivée d’un humain familier au pré, éloignement d’un congénère : les chevaux utilisent les vocalisations pour leurs communications intra- et interspécifiques.
- Visuels – Coucher les oreilles en arrière, menacer d’un coup de pied… mais aussi pointer un objet, sourire ou même froncer les sourcils sont des signaux visuels permettant une communication fine et précise. En tant qu’humain, nous avons tendance à négliger toutes ces indications involontaires que le cheval perçoit pourtant clairement et qui influencent son comportement et son attitude à notre égard.
- Tactiles – Caresser, pousser, taper, pincer… les signaux tactiles sont nombreux ! Particulièrement utilisés en équitation (pour demander à sa monture d’avancer, de tourner, de ralentir…), ils sont aussi très présents dans le monde du cheval. Les utiliser positivement implique de comprendre la sensorialité du cheval, la manière dont il ressent et comprend le contact physique (sujet abordé au Module 3).
Important : il est très fréquent et tout à fait normal d’utiliser plusieurs types de signaux en même temps.
En fonction de la relation qu’entretienne les individus et de leurs objectifs communs, il est primordial de soigner cette communication, de s’accorder sur un langage commun, sur un vocabulaire compris et maîtrisé. Dans le cas de la communication Homme-Cheval, la qualité de la communication dépend donc de notre capacité à entendre et comprendre les signaux émis par le cheval, mais aussi de notre aptitude à être compréhensible !
La mise en place de règles communes est un prérequis à toute relation agréable. En effet, s’il vous semble impensable que votre cheval ralentisse lorsque vous faites un appel de langue, alors que c’est ce qu’il a toujours retenu de ses contacts avec les humains… la communication, et donc la relation, va être compromise. Heureusement, même les incompréhensions les plus lourdes peuvent être expliquées, démêlées et adoucies !
Importance de la mémorisation
Dans une relation, comme nous l’avons vu, la somme des interactions vécues par le passé permet de prédire la manière dont les prochaines vont se dérouler. Les individus s’attendent à une certaine attitude de la part de l’autre, et ajustent leur comportement en fonction de ce qu’ils ont retenu des interactions passées. Si, par exemple, vous vous présentez systématiquement à votre cheval avec le sourire et les poches pleine de carottes, il y a fort à parier que le bruit de votre voiture deviendra bientôt synonyme de plaisir pour lui et qu’il s’attendra à passer un bon moment à chacune de vos visites. Le souci, c’est que dans toute relation, une seule mauvaise expérience peut laisser un souvenir plus tenace qu’une expérience positive !
2) Cumuler les interactions positives
A chaque fois que vous croisez votre cheval, concentrez-vous sur un point : lui laisser un souvenir agréable de cette interaction.
Puisqu’une seule interaction négative peut entacher profondément votre relation, il convient d’éviter les situations conflictuelles au maximum. Mais comment faire, étant donné que toutes nos interactions ne peuvent pas être positives et agréables ? Les réalités du quotidien et la simple mise en présence d’êtres vivants, évoluant dans un environnement changeant et soumis à leurs propres modifications physiologiques (modifications hormonales, maladies…), émotionnelles et physiques, font que l’ensemble des interactions ne peut pas être positif à 100%. Voyons les différents cas que nous pouvons rencontrer et être amenés à gérer :
Les situations difficiles inévitables :
- Douleurs, blessures, maladies : bien sûr, des conditions d’hébergement optimales ainsi que le respect des besoins alimentaires, sociaux et locomoteurs du cheval (étudiés au Module 3) réduisent drastiquement les risques d’accident et l’apparition d’indicateurs de mal-être. Cependant, les accidents et les maladies transmissibles ne préviennent pas !
- Environnement biotique et abiotique anxiogène : orages, canicules… mais aussi décès d’un partenaire de pré par exemple sont des situations délicates.
Les situations difficiles évitables :
- Difficulté technique mal-préparée :
- Exercices dépassant le seuil émotionnel de l’animal comme l’embarquement dans le van, difficulté équestre dépassant le niveau technique du cheval…
- Situation anxiogène prévisible : visite du vétérinaire, vermifuge…
Ces situations dépendent dans une large mesure de la préparation de votre cheval, de séances d’éducation bien menées et respectueuses de ses émotions, de ses capacités et de ses difficultés propres. Il est donc possible de les rendre beaucoup moins anxiogène pour votre cheval… et de vous simplifier la vie au quotidien ! Nous évoquerons les théories de l’apprentissage, le medical training et la mise en place de séances dans un prochain module.
- Gestion de nos émotions : crise de larmes ou de colère, peur, crises d’angoisse… Ce type de situation est probablement l’un des plus complexe à gérer, parce qu’il nous place face à nos failles tout en suscitant chez l’autre, en l’occurrence le cheval, des réactions également émotionnelles et hors de contrôle.
Rattraper une interaction ratée
Il est illusoire d’espérer que toute nos interactions seront positives. Tant de paramètres entrent en jeu qu’il vaut mieux rapidement accepter que parfois, les choses ne se passent pas comme prévu. Il y a pourtant un point sur lequel nous pouvons agir : faire de notre mieux. Vous avez passé une mauvaise journée et vous pensez que vous risquez de vous énerver en montant à cheval ? Restez au sol.
Votre cheval semble de très mauvaise humeur avec ses congénères et vous avez l’impression que votre présence ne l’apaisera pas (parce que vous n’en êtes qu’au début de votre relation, ou que vous doutez de vos capacités) ? N’allez pas dans le troupeau.
Et si les choses dérapent ? Et si vous avez mal jugé la situation et que les choses ne se passent pas comme prévu ? Voici quelques astuces pour finir sur une note positive, quelle que soit la raison de cette mauvaise communication :
- S’éloigner: rompez le contact, physiquement et émotionnellement. Allez suffisamment loin pour être sûr.e de ne pas influencer votre cheval, regardez ailleurs, chantez (à voix haute ou dans votre tête !), pensez à votre liste de courses… bref, déconnectez-vous ! Dans des cas où l’un des individus est trop impacté émotionnellement, cette solution peut aider à faire redescendre la pression.
- Se rapprocher: en fonction de ce que vous ressentez, de votre niveau, de l’âge de votre cheval et des paramètres de sécurité, allez au contraire chercher le contact. En privilégiant une zone de contact facile (vous diriger vers son épaule est par exemple bien plus rassurant pour un cheval que d’avoir un humain qui l’aborde frontalement alors qu’il se trouve dans une situation inconfortable), créez une communication tactile apaisante. Vous pouvez laisser votre main posée au contact, ou grattouiller activement en respectant ses préférences.
- Proposer une récompense alimentaire: dans un prochain Module, nous rentrerons plus en détail sur l’utilisation et l’intérêt de la récompense alimentaire. Vous pouvez d’ores et déjà retenir que celle-ci aide le cheval à se reconnecter au moment présent, à redescendre en pression et à mémoriser l’instant.
- Proposer un exercice connu et acquis : tous les cavaliers le savent, il convient de mettre pied à terre après un exercice réussi. Mais au lieu d’attendre le moment de grâce pour proposer du repos, inversons la situation et proposons un moment de grâce pour créer la décontraction ! Ainsi, vous pouvez demander à votre cheval de marcher à vos côtés, de reculer sur une foulée, de baisser la tête : l’important n’est pas la technicité de l’exercice, mais sa maîtrise complète par le cheval qui va ainsi se retrouver en « terrain connu » et retrouver un seuil émotionnel acceptable. Un peu comme si l’on vous demandait de réciter l’alphabet après vous avoir forcé à apprendre l’Iliade et l’Odyssée par cœur pendant 3 jours d’affilée…
Une relation n’est pas forcément saine… Le lien qui unit deux individus peut être délétère pour l’un au moins des protagonistes, en étant par exemple source d’anxiété ou provoquant des séquelles plus ou moins lourdes sur le long terme. Votre mission va donc être non pas de créer une relation, mais bien de faire de cette relation un ensemble d’interactions les plus agréables et confortables possibles !
L’important, ce n’est pas d’être parfait. L’important c’est que le positif l’emporte sur le négatif. Oui, il y aura des mauvais moments. Mais s’ils sont ponctuels, sans ressentiments et contrebalancés par une multitude de moments agréables, ils n’auront aucune influence sur votre relation !
3) Particularités des relations interspécifiques
Une relation interspécifique met en présence deux individus d’espèces différentes ayant pour objectif de partager un peu de leur existence et ayant envie de communiquer avec l’autre pour des raisons personnelles (curiosité, plaisir…).
Un cheval qui, non seulement vous accepte dans sa vie mais, également, échange avec vous, vous indique ce qu’il aime et ce qu’il préfère éviter, choisit de rester à vos côtés alors qu’il pourrait s’éloigner, fait preuve de capacités cognitives étonnantes (que nous détaillerons dans un prochain chapitre) : il transfère à une relation interspécifique ce qui normalement est le fruit de l’apprentissage social, au sein de sa propre espèce !
Exemples de relations entre espèces différentes
Les relations interspécifiques sont rares, surtout en milieu non-captif, mais généralement abondamment illustrées et relayées. Une chienne qui adopte des chatons, un hibou et un malinois qui se lient d’amitié, un labrador et une éléphante qui se promènent côte à côte… Les exemples sont nombreux sur les réseaux sociaux et suscitent systématiquement de nombreuses réactions positives. Proie et prédateur s’effacent pour laisser place à des histoires auxquelles on a profondément envie de croire…
L’amitié entre un chien et un lapin
L’adoption d’une antilope par une lionne
La question que l’on pourrait se poser est : pourquoi de telles relations naissent-elles ? dans quel contexte et pour quelles raisons ? En éthologie, lorsque l’on observe le comportement d’un animal, il convient en effet de se demander quelle est sa finalité pour l’individu qui l’exprime : reproduction, survie… plaisir ?
Dans le cas d’une relation interspécifique en milieu captif, on remarque qu’il s’agit très majoritairement d’animaux isolés. Qu’ils aient été abandonnés par l’homme, qu’ils soient seuls au sein de leur foyer ou qu’ils viennent de perdre un ami fidèle, ils vivent souvent un « manque » agissant comme terrain propice et permettant la mise en place d’un lien privilégié avec un autre individu rencontré au « bon moment ». En milieu non-captif, le constat est le même : les animaux créant une relation avec un individu d’une espèce différente ont souvent été soit rejetés par leur groupe, soit victimes d’une blessure ou de la mort d’un congénère.
Ces relations interspécifiques, inhabituelles mais néanmoins fréquentes, aident les animaux impliqués à rétablir leur homéostasie, leur équilibre, en leur procurant les interactions positives et agréables nécessaires au bien-être des animaux sociaux.
Dans tous les cas, souvenez-vous : même si l’origine de ces amitiés est discutable et peut amener quelques remises en question, cela ne signifie en aucun cas qu’il n’y a pas de réelle affinité entre les deux individus. Comprendre d’où vient l’amitié interspécifique ne veut pas dire qu’il faille y renoncer !
Les relations interspécifiques impliquant un être humain
Aujourd’hui, un être humain établissant un lien avec un animal dit sauvage le fait généralement en milieu captif. Qu’il s’agisse d’une réserve africaine, d’un refuge américain ou d’un centre de sauvegarde européen, les éléphants, hyènes et kangourous que l’on voit se ruer dans les bras d’un soigneur sont bel et bien dépendants des structures humaines pour se nourrir, se déplacer, s’abriter… même lorsqu’il s’agit de zones protégées de plusieurs centaines de kilomètres carrés.
Il existe néanmoins quelques exemples de relations durables entre humain et animal sauvage en liberté. Nous pouvons par exemple évoquer les amitiés Homme-Dauphin, Homme-Corvidé ou encore Homme-Primate. Anecdotiques mais profondément marquantes, elles mettent en relief notre envie (notre besoin ?) de nous connecter au sauvage, de retrouver un peu de la Nature dont nous nous sommes coupés au cours de ces derniers siècles…
20 ans d’amitié entre un homme et un labre
Nous allons nous intéresser au cours des prochains chapitres à un autre type de relation interspécifique : la relation entre un humain et un animal domestiqué, c’est-à-dire appartenant à une espèce tributaire de l’homme pour répondre à ses besoins fondamentaux. Rendez-vous au chapitre suivant…
EXERCICE – CHAPITRE 1 – MODULE 1
- Lorsque vous proposez une interaction au sol à votre cheval (séance en carrière, pansage, observation au pré…), quels sont les signaux de communication que vous utilisez ?
- Pour le troisième jour consécutif, votre cheval se déplace de plus en plus mal. Vous appelez le vétérinaire : la visite est compliquée, votre compagnon équin se défend, transpire beaucoup et semble même refuser votre contact. Le verdict tombe : abcès. Vous allez donc devoir faire plusieurs jours de soins et vous assurer qu’il accepte sa dose quotidienne d’antibiotiques… Comment gérez-vous pour que cette situation temporaire n’affecte pas votre relation ?